Nommé Premier ministre le 9 septembre, Sébastien Lecornu n’a toujours pas constitué son gouvernement. Quinze jours de délai : une situation inhabituelle, mais révélatrice d’une contrainte nouvelle. Avant même d’esquisser un projet, il lui faut chercher une majorité. Or, cette quête s’annonce ardue : le chef du gouvernement peine à rallier des partenaires pour former une coalition parlementaire, indispensable à l’adoption d’un budget.
Le contexte ne prête guère à l’audace.
Les finances publiques sont dégradées, la cote du président au plus bas, et la durée de vie de l’exécutif promise à être courte. À cela s’ajoute le calendrier électoral : les municipales du printemps puis, déjà, la présidentielle de 2027. Aucun parti ne souhaite prendre le risque d’affaiblir ses chances à cette échéance cruciale en s’enfermant dans une alliance de circonstance. Toutes les conditions du blocage sont ainsi réunies.
Pourtant, ce blocage ne peut se prolonger indéfiniment.
La Ve République a longtemps reposé sur l’alternance entre deux grandes forces capables de dégager des majorités nettes. Ce schéma est révolu. Trois pôles dominent désormais la vie politique : le camp présidentiel, la gauche et l’extrême droite. Les élections législatives de 2022 puis de 2024 l’ont démontré avec force : aucun de ces blocs n’est en mesure de franchir seul son plafond de verre électoral.
Persister à croire au retour miraculeux d’une majorité absolue relève de l’illusion.
C’est un nouvel apprentissage politique qui s’impose : celui de la conciliation, du compromis, de la coalition. Cet apprentissage exige un changement de culture, tant à l’Élysée qu’au Palais Bourbon. Il suppose de sortir de la logique de surenchère permanente et d’accepter que gouverner implique désormais la négociation.
À défaut, la polarisation continuera de s’exacerber, nourrissant l’impuissance publique et la défiance citoyenne. Et c’est alors l’équilibre même des institutions qui sera menacé. Une République construite pour garantir la stabilité risque, par le refus des acteurs d’en assumer les contraintes nouvelles, de s’acheminer vers une crise de régime.
Jean-Paul Blois