Suppressions de jours fériés, gel des dotations, réduction drastique des dépenses publiques : les annonces de François Bayrou pour redresser les comptes de l’État en 2026 inquiètent profondément les ultramarins. Dans des territoires déjà marqués par des inégalités structurelles, cette politique d’austérité risque d’aggraver les fractures sociales et territoriales.
Une rigueur budgétaire sans aménagement territorial
Avec 43,8 milliards d’euros d’économies prévues en 2026, le gouvernement engage une cure d’austérité. François Bayrou a assumé un effort « partagé par tous les Français », mais pour l’instant aucun mécanisme de différenciation n’a été proposé pour les départements et collectivités d’Outre-mer. Pourtant, ces territoires cumulent des handicaps lourds : un taux de chômage deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, une dépendance accrue aux transferts publics, des infrastructures vieillissantes, et des coûts de construction, d’approvisionnement ou de mobilité bien plus élevés.
Dans ce contexte, le gel de la dépense publique aura des effets particuliers : report de chantiers publics, ralentissement des investissements en logement social, gel des créations de postes dans l’Éducation nationale, et mise en péril de dispositifs spécifiques comme le plan Sécurité Outre-mer ou les contrats de convergence.
Collectivités locales étranglées.
Le gel des dotations aux collectivités territoriales, qui représentent jusqu’à 30 % des recettes de fonctionnement des communes ultramarines, crée une situation explosive. En Martinique, le président du Conseil exécutif Serge Letchimy parle d’un « étranglement organisé des capacités d’action publique locale ». À Mayotte et en Guyane, où la pression démographique est très forte, les maires alertent : « il n’y a plus rien à couper sans sacrifier les services de base ».
Les communes ultramarines, souvent confrontées à des difficultés de trésorerie chroniques, risquent de devoir renoncer à des projets vitaux : rénovation d’écoles, entretien des routes, prévention des risques naturels. En Guadeloupe, la Fédération des maires évoque déjà une possible crise de paiement dans certaines petites communes dès le premier semestre 2026.
Deux jours fériés supprimés : atteinte à l’identité locale
Autre mesure contestée : la suppression de deux jours fériés nationaux pour augmenter la productivité. Outre l’effet économique incertain dans des économies peu industrialisées, la mesure heurte des territoires où les jours fériés ont aussi une charge mémorielle et identitaire. En Martinique, le 22 mai (abolition de l’esclavage) est un jour férié local protégé, mais le message envoyé par le gouvernement est comme un signal de désinvolture culturelle.
Des territoires en première ligne, sans bouclier
Les Outre-mer figurent pourtant parmi les régions les plus vulnérables aux effets des crises globales : inflation alimentaire, instabilité climatique, dépendance énergétique. L’absence de « bouclier ultramarin » dans la stratégie gouvernementale est dénoncée par plusieurs parlementaires. « Le gouvernement veut réduire le déficit, mais il risque d’augmenter les fractures », alerte le sénateur réunionnais Jean-Hugues Ratenon.
Même les acteurs économiques s’inquiètent. En Martinique, la chambre de commerce prévient : « L’investissement public est l’oxygène de notre tissu économique. S’il s’arrête, c’est l’économie qui suffoque. »
Quelle marge de négociation parlementaire ?
Face à la levée de boucliers, les élus ultramarins devront peser lors du débat budgétaire à l’automne. Plusieurs amendements sont nécessaires pour obtenir des dérogations, des compensations ciblées ou la reconduction de dispositifs spécifiques. Mais dans un contexte de rigueur affirmée, la marge de manœuvre sera étroite.
En toile de fond, c’est aussi la question du modèle de développement des Outre-mer qui est relancée. Peut-on demander à ces territoires de se gérer comme la France hexagonale, avec les mêmes règles, les mêmes contraintes, et sans les mêmes outils ? La réponse, en creux, va décider des tensions sociales à venir. Gdc