Un tournant décisif pour la Guadeloupe
La Guadeloupe se trouve à un tournant décisif de son histoire économique et sociale avec la révolution technologique, le changement climatique et la crise de la dette. Depuis plus d’une décennie, sa croissance tourne au ralenti, oscillant autour de 1 % par an depuis 2015, un niveau trop faible pour permettre à un territoire fragile d’affronter les défis actuels. Même les projections optimistes n’attendent qu’une croissance de 1,2 % en 2025 avant une stagnation durable, notamment en raison d’une baisse annoncée de la consommation. Ce plafonnement n’est pas qu’un indicateur : il annonce un possible déclin si rien n’est fait, alimentant un cercle vicieux de faibles recettes fiscales, tensions sur l’investissement public, perte d’attractivité et incapacité à créer les emplois nécessaires.
La fin programmée d’un modèle consumériste
La Guadeloupe peut-elle continuer à fonctionner comme une société de consommation alors que ce modèle montre des signes irréversibles d’essoufflement ? Fondé sur la stimulation permanente du désir d’acheter, il a longtemps porté la croissance et structuré l’ascension sociale. Mais il atteint aujourd’hui ses limites. Dans une économie dépendante des transferts publics et où la production locale reste faible, continuer à tout miser sur la dépense des ménages relève d’une impasse stratégique.
Un paradoxe collectif : la critique du consumérisme mais la reproduction des mêmes pratiques
Les Guadeloupéens, comme les Français, expriment leur désir d’un modèle moins consumériste : 78 % souhaitent une transformation profonde, 93 % veulent repenser le système économique et 83 % imaginent une société où la consommation aurait moins de place. Mais la publicité, les promotions, l’obsolescence programmée et les innovations constantes continuent de structurer les comportements. Les banques elles-mêmes encouragent une distribution de crédit orientée vers la consommation plutôt que vers la production, renforçant ainsi la vulnérabilité du territoire.
IA, réchauffement climatique et fin du refuge de l’emploi public
Le changement de modèle est d’autant plus impératif que deux transformations majeures bousculent la Guadeloupe : l’intelligence artificielle et le changement climatique. L’IA menace directement de nombreux métiers administratifs, alors que le secteur public représente l’un des principaux amortisseurs sociaux. L’État pousse désormais à réduire les effectifs pour éviter un effet de ciseaux budgétaire. La Guadeloupe doit diversifier son économie ou se condamner à une impasse structurelle.
Vers un « reboot stratégique » : produire, innover, oser
Plusieurs représentants économiques appellent à une transformation profonde. En Guadeloupe, où le système productif reste fragmenté et dépendant des rentes publiques, il est urgent de réinventer les chaînes de valeur, de rompre avec les habitudes, de repenser la relation producteurs–distributeurs–consommateurs et d’accepter davantage de prise de risque. Le territoire doit apprendre à « faire moins, mais mieux », privilégier la qualité, la valeur ajoutée locale et la responsabilité sociale.
Refonder le contrat social et renforcer les institutions
Le changement de modèle exige également de repenser le contrat social et les institutions. Il faut inventer un équilibre entre ce que les ménages souhaitent conserver (sécurité, confort, niveau de vie) et ce que la Guadeloupe doit devenir : une société de production capable de créer ses propres richesses. Cela implique de relocaliser des savoir-faire, renforcer la formation, soutenir les filières stratégiques, structurer les transitions écologiques et numériques et repenser le rôle des institutions. Le maintien dans le cadre de l’article 73 avec un pouvoir normatif renforcé est indispensable pour mener cette transition sans perte de substance financière.
Sortir de l’imaginaire de l’abondance
Le nouveau contrat social demandera des efforts, car il suppose de sortir d’un imaginaire collectif façonné par des décennies d’abondance relative et d’aides publiques structurantes. Refuser la transformation reviendrait à accepter un déclin progressif et une montée des inégalités, notamment pour la jeunesse. Engager la reconstruction d’un modèle fondé sur la production, l’innovation et l’anticipation ouvrirait la voie à une société plus résiliente et mieux armée pour les défis du XXIe siècle.



