La polémique née autour d’une caricature de Charlie Hebdo représentant Rokhaya Diallo en Joséphine Baker, affublée d’une ceinture de bananes, n’est ni anecdotique ni conjoncturelle. Elle révèle une impasse intellectuelle profonde : celle d’un universalisme français qui se veut abstrait, mais qui continue d’ignorer les charges historiques, coloniales et symboliques qu’il mobilise pourtant sans précaution.
Rokhaya Diallo a dénoncé un dessin qu’elle juge raciste, inscrit selon elle « dans le droit fil de l’imagerie coloniale ». Charlie Hebdo a répondu par une accusation de « manipulation », affirmant qu’il ne s’agissait que d’une satire politique visant ses positions sur la laïcité et son supposé tropisme communautariste américain. L’affaire aurait pu en rester là, au registre habituel des échanges acrimonieux entre une essayiste décoloniale et un journal satirique farouchement attaché à l’universalisme républicain. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel.
Car le débat ne porte pas seulement sur l’intention du dessinateur, ni même sur la liberté de caricature. Il porte sur la responsabilité symbolique de ceux qui produisent des images dans une société marquée par une histoire coloniale toujours agissante.
La référence à Joséphine Baker n’est pas neutre. Elle ne l’a jamais été. La ceinture de bananes, associée à la Revue nègre de 1925, appartient à un imaginaire où le corps noir féminin est mis en scène comme exotique, érotisé, primitif, offert au regard occidental. Que Joséphine Baker ait ensuite incarné la Résistance, l’antiracisme et une certaine idée de la France n’efface pas cette première inscription dans un dispositif colonial de représentation.
Charlie Hebdo revendique une satire indifférenciée, frappant tout le monde au nom de l’égalité. Mais l’égalité formelle des cibles ne suffit pas à produire une égalité réelle des effets. Une caricature n’atterrit jamais dans le vide : elle s’inscrit dans des rapports sociaux, des hiérarchies héritées, des mémoires collectives inégalement partagées. Feindre de l’ignorer, c’est confondre l’universalisme avec l’amnésie.




