La colonisation française constitue l’un des phénomènes structurants majeurs de l’histoire contemporaine. Au-delà des récits longtemps dominants sur la mission civilisatrice ou l’expansion républicaine, l’historiographie a établi de manière rigoureuse que le système colonial reposait sur des atteintes profondes, durables et systématiques aux droits humains. Ces violations se sont exercées à la fois dans les territoires colonisés et, par prolongement, en France métropolitaine à l’encontre des populations issues des anciennes colonies.
Le cadre juridique d’exception du système colonial
L’un des piliers de la domination coloniale fut l’instauration d’un droit d’exception. Le Code de l’indigénat, mis en place en Algérie en 1881 puis étendu à l’ensemble de l’empire, instituait une inégalité juridique structurelle. Il autorisait l’administration coloniale à prononcer des sanctions sans procès, à imposer le travail forcé, à limiter la liberté de circulation et à recourir aux punitions collectives. Ce régime violait les principes fondamentaux de l’État de droit pourtant proclamés par la République française.
Violences de conquête et répression coloniale
La conquête et le maintien de l’ordre colonial ont été marqués par des violences massives. En Algérie, les enfumades, les massacres de populations civiles et la destruction systématique de villages jalonnent le XIXᵉ siècle. À Madagascar en 1947, au Cameroun dans les années 1950, en Indochine ou en Afrique occidentale française, la répression des révoltes s’est traduite par des milliers de morts, des déportations et des internements. Ces pratiques relevaient d’une stratégie assumée de domination.
Exploitation économique et travail forcé
La colonisation a reposé sur une exploitation intensive des ressources et des corps. Le travail forcé fut utilisé à grande échelle pour la construction d’infrastructures, l’extraction minière et les cultures d’exportation. La spoliation foncière et l’économie de plantation ont privé les populations locales de leurs moyens de subsistance, installant des dépendances économiques durables et des inégalités structurelles.
Atteintes culturelles et construction du racisme
La domination coloniale ne fut pas seulement matérielle. Elle fut aussi culturelle et symbolique. Les politiques d’assimilation ont marginalisé les langues, les religions et les systèmes de savoir autochtones. Parallèlement, une culture visuelle et scientifique du racisme s’est développée, hiérarchisant les populations et justifiant la domination. Ces représentations ont profondément marqué les imaginaires collectifs.
Les guerres de décolonisation et les violations massives
Les processus de décolonisation ont souvent pris la forme de conflits armés. En Algérie, l’usage de la torture, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et les déplacements de populations sont aujourd’hui largement documentés. Des faits comparables ont été établis en Indochine et au Cameroun. Ces violences ont laissé des traumatismes durables dans les sociétés concernées.
Prolongements en France : immigrés des anciennes colonies
Après les indépendances, les atteintes aux droits humains se sont déplacées vers l’espace métropolitain. Les immigrés issus des anciennes colonies ont été confrontés à des politiques discriminatoires : emplois précaires, logements insalubres, accès restreint aux droits sociaux. La répression policière, dont le massacre du 17 octobre 1961 constitue un symbole majeur, a marqué durablement cette histoire.
Discriminations structurelles contemporaines
Les inégalités héritées de la période coloniale se prolongent aujourd’hui à travers des discriminations systémiques : accès inégal à l’emploi, au logement, à l’éducation, contrôles policiers au faciès et sous-représentation politique. Ces phénomènes sont analysés comme des prolongements indirects de la logique coloniale.
Les atteintes aux droits humains issues de la colonisation française ne relèvent ni de l’idéologie ni de l’anachronisme.
Elles sont établies par l’histoire et leurs effets demeurent visibles en Martinique, dans les déséquilibres économiques, sociaux et symboliques hérités de ce passé. Les reconnaître avec sérénité ne relève pas de la repentance, mais de la lucidité. Cette reconnaissance constitue une forme de réparation symbolique indispensable, préalable à tout rééquilibrage durable de la société martiniquaise. Sans ce regard clair sur son histoire, aucune émancipation collective ne peut pleinement s’accomplir.
Gérard Dorwling-Carter



