Source Reporterre
Quand la conquête des terres et des forêts allait de pair avec la domination des peuples.
Dominer les hommes, c’était aussi dominer la nature
Et si l’on relisait l’histoire coloniale à travers ses forêts, ses rivières, ses barrages et ses plantations ?
C’est le pari du livre Empires. Une histoire sociale de l’environnement, dirigé par Guillaume Blanc (Sciences Po Bordeaux) et Antonin Plarier (Université Lyon-III), publié au CNRS Éditions.
L’ouvrage montre comment les puissances coloniales — française, britannique, portugaise ou allemande — ont transformé les environnements qu’elles ont conquis : forêts indiennes mises sous contrôle, plantations d’hévéa au Vietnam, barrages au Mozambique, réserves de chasse en Afrique de l’Est…
Les empires ont bâti une “écologie impériale” : exploiter et protéger à la fois, pour mieux contrôler.
Gouverner les hommes passait par gouverner la nature.
Une “écologie impériale” au service de la domination
Sous l’Empire, la nature devient un instrument politique.
Les colons imposent des règles de chasse, des réserves naturelles, des exploitations agricoles — autant de dispositifs de contrôle social.
“Les colons ont inventé un ordre écologique parallèle à l’ordre social”, résume Guillaume Blanc.
L’exploitation des ressources (bois, caoutchouc, minerais) s’accompagne d’une idéologie : rationaliser la nature, hiérarchiser les usages, exclure les populations locales.
Les ingénieurs et les administrateurs coloniaux se posent en “planificateurs du vivant” — une ambition à la fois scientifique et politique.
Résistances, détournements et luttes écologiques
Mais la domination n’a jamais été totale.
Les peuples colonisés ont résisté, négocié, contourné.
Certains projets ont échoué : le thé d’Assam refusé puis réapproprié par les Indiens, ou le figuier de Barbarie à Madagascar, détourné par les populations locales comme barrière contre l’armée française.
D’autres luttes furent directement écologiques :
- L’insurrection Maji Maji en Afrique de l’Est (1905-1907) s’oppose aussi aux réserves de chasse coloniales.
- Le Vietminh détruit des plantations d’hévéas, symboles de l’exploitation française.
- Au Mozambique, les nationalistes combattent le barrage de Cahora Bassa, puis le reprennent après l’indépendance.
La nature devient alors un terrain de révolte et de réappropriation, où se mêlent combat politique et résistance écologique.
De l’empire à nos inégalités environnementales
Les auteurs établissent enfin un lien direct entre colonialisme et inégalités écologiques actuelles.
Le concept d’« échange écologique inégal » — inspiré de Wallerstein et Hornborg — montre que les anciens centres impériaux continuent de profiter des ressources des anciennes colonies :
l’uranium du Niger éclaire les foyers français ; le caoutchouc vietnamien enrichit Michelin ; le tourisme de “nature africaine” en Tanzanie prolonge une logique coloniale.
Aujourd’hui encore, les rapports de domination persistent, sous d’autres formes : souveraineté politique, dépendance écologique.
)Un passé qui éclaire notre présent
Pour Guillaume Blanc et Antonin Plarier, comprendre cette histoire, c’est aussi réinterroger notre rapport contemporain à la nature.
“L’exploitation de la nature ne peut être dissociée de l’exploitation des humains”, rappellent-ils.
Le livre invite à repenser les politiques environnementales à la lumière de cette longue histoire impériale : une écologie qui, hier comme aujourd’hui, reste traversée par des rapports de pouvoir.
🪶 Empires. Une histoire sociale de l’environnement, sous la direction de Guillaume Blanc et Antonin Plarier, CNRS Éditions, 432 pages, 27 €.