Sous l’impulsion du garde des sceaux Gérald Darmanin, le décret n° 2025-840 du 22 août 2025 permet désormais aux dirigeants d’entreprise de protéger leur adresse personnelle dans les registres publics. Une avancée saluée par les praticiens du droit, mais jugée encore insuffisante par plusieurs spécialistes, dont l’avocat Patrick Lingibé.
Un dispositif attendu face aux risques numériques
À l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, l’exposition des données personnelles des dirigeants — nom, adresse, fonction — a entraîné une recrudescence des usurpations d’identité, du harcèlement et parfois des menaces physiques.
Le décret répond à cette inquiétude en permettant aux dirigeants de sociétés et aux associés indéfiniment responsables de demander, via le guichet unique de l’INPI ou les greffes, l’occultation de leur domicile personnel dans les registres du commerce et des sociétés (RCS) et dans le registre national des entreprises (RNE). La procédure est simplifiée : le greffier doit traiter la demande dans un délai de cinq jours ouvrables.
Le texte s’inscrit dans le sillage du RGPD et des recommandations de la CNIL, qui avait alerté sur les risques d’une diffusion incontrôlée des adresses personnelles.
Une portée limitée
La protection instaurée ne concerne que les dirigeants en fonction, laissant de côté les anciens responsables, dont les données restent consultables. Par ailleurs, l’adresse professionnelle et le siège social demeurent publics, ce qui réduit l’effet de la mesure lorsque ceux-ci coïncident avec le domicile.
De nombreuses autorités conservent un accès direct aux adresses non occultées : juges, services fiscaux, police, douanes, mais aussi notaires, administrateurs judiciaires ou encore organismes sociaux. Enfin, le champ d’application du décret reste restreint, puisqu’il n’inclut pas le registre des bénéficiaires effectifs, pourtant particulièrement sensible.
Trois évolutions pour un dispositif plus robuste
Pour Me Patrick Lingibé, membre du Conseil national des barreaux, le décret représente un premier pas, mais doit être renforcé pour offrir une protection plus cohérente. Trois améliorations sont avancées :
- Élargir la protection aux anciens dirigeants, afin de sécuriser leurs données au-delà de leur mandat.
- Automatiser l’occultation, pour éviter des démarches lourdes et garantir une application uniforme sur l’ensemble du territoire.
- Étendre le dispositif à d’autres registres, notamment celui des bénéficiaires effectifs, afin de combler les failles encore béantes.
Une avancée, mais un chantier ouvert
En instaurant la confidentialité des adresses personnelles dans les registres d’entreprise, la France rejoint des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, déjà dotés de dispositifs similaires. Mais l’équilibre reste délicat à trouver entre protection des personnes et exigences de transparence économique.
Pour les praticiens, le décret du 22 août 2025 constitue donc moins une fin qu’un point de départ vers une refonte plus large de la publicité légale et de la protection des données des dirigeants.



