Les élus martiniquais ont su travailler dans un esprit d’ouverture et de tolérance, reconnaissant avec courage la défiance d’une partie de la population à leur égard, au moment même où la classe politique hexagonale se déchire dans un climat social dégradé.
Réunis les 8 et 9 octobre 2025, les élus martiniquais ont fait front commun pour refuser l’immobilisme institutionnel. À l’unisson, ils appellent à une évolution du statut de la Martinique et à une refondation du cadre juridique qui régit l’île depuis la création de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) en 2015. Dans un contexte national tendu, ce consensus fait figure d’exception.
Un moment “historique”, sous l’œil de l’Élysée
Ce congrès s’inscrit dans le prolongement de la rencontre du 30 septembre 2025 à l’Élysée, où Emmanuel Macron a reçu les élus ultramarins pour évoquer les pistes d’autonomie et de différenciation institutionnelle.
« C’est un moment historique, mais c’est un moment difficile », a déclaré le député Jean-Philippe Nilor, soulignant la nécessité de concilier exigence démocratique et prudence juridique.
Le sénateur Frédéric Buval a quant à lui insisté sur la dignité martiniquaise et sur la nécessité pour l’île de reprendre la main sur son développement.
Dans une atmosphère de dialogue apaisé, plusieurs élus ont salué la qualité du débat et l’esprit d’ouverture qui a prévalu. D’autres ont fait preuve de lucidité politique, reconnaissant le déficit de confiance dont souffre la représentation locale vis-à-vis de la population — un aveu courageux à une époque où la défiance envers les institutions atteint des sommets.
ˆParticipation élevée et débats soutenus
Avec 65 élus présents sur 80, le Congrès a affiché une mobilisation exceptionnelle.
« C’est énorme par rapport aux autres congrès, et le niveau du débat est remarquable », s’est félicité Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la CTM.
Pour lui, il s’agit désormais de « sortir du cadre rigide de l’article 73 » de la Constitution et d’inventer un modèle martiniquais fondé sur la responsabilité et l’adaptation aux réalités locales.
Francis Carole, président du Palima, a rappelé que « l’État français n’a jamais manifesté une réelle volonté d’aller au bout des questions statutaires », soulignant ainsi les limites politiques de l’exercice.
Adapter les lois à la réalité martiniquaise
Les interventions ont convergé vers un diagnostic partagé : la Martinique ne peut plus se contenter de lois pensées pour l’Hexagone.
Plusieurs pistes ont émergé :
L’adoption de normes locales sur l’emploi, le foncier, l’énergie, la santé et la culture ;
La mise en place d’un accès préférentiel aux marchés publics pour les entreprises locales ;
La reconnaissance d’un droit prioritaire au foncier pour les résidents ;
Et le renforcement de la coopération caribéenne, levier essentiel d’un développement endogène.
Ces propositions traduisent la volonté de doter la Martinique d’un pouvoir de décision adapté à sa singularité tout en préservant le lien républicain avec la France.
Une résolution adoptée à l’unanimité
Les travaux se sont conclus par le vote d’une résolution-cadre, adoptée à l’unanimité moins une abstention, qui définit la méthode et le calendrier du processus de réforme institutionnelle.
Le texte repose sur quatre grandes étapes :
- Mise en œuvre du Congrès (2025) ;
- Co-construction avec la population (2025-2026) par réunions publiques, consultations citoyennes et sondages ;
- Négociations avec le gouvernement (2025-2026) ;
- Consultation populaire (2026-2027) par référendum.
Un amendement symbolique reconnaissant l’existence d’un peuple martiniquais a également été adopté, affirmant la dimension identitaire de la démarche.
Entre espoir et prudence
Trois pistes sont désormais sur la table :
Un renforcement du pouvoir normatif au sein de l’article 73 ;
Le passage à l’article 74, synonyme d’autonomie élargie ;
Ou un statut intermédiaire, souvent évoqué sous la formule « 73-1 », permettant une évolution progressive.
Malgré les incertitudes, le Congrès a su jusque-là démontrer que la Martinique est capable de débattre dans la sérénité, le respect et la lucidité.
À rebours des fractures politiques nationales, les élus ont offert l’image d’un territoire rassemblé autour d’un projet collectif, déterminé à retrouver la confiance du peuple et à construire un avenir institutionnel à sa mesure.
Gérard Dorwling-Carter