Alors que la criminalité recule en France hexagonale depuis le début des années 2000 – notamment chez les mineurs, avec une baisse d’environ 25 % des infractions depuis le milieu des années 2010 (ministère de l’Intérieur) – la Martinique illustre un paradoxe : des indicateurs globalement stables, mais une perception publique alimentée par la violence armée et une rhétorique politique centrée sur la répression.
Les données du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) montrent une diminution des atteintes aux biens, vols et cambriolages compris, depuis 2015.
La délinquance des mineurs reste stable, avec même une baisse des vols simples enregistrée par le tribunal pour enfants de Fort-de-France. Mais la situation martiniquaise se distingue par une quinzaine d’homicides annuels pour 360 000 habitants, soit un taux de 4 à 5 pour 100 000, bien supérieur à la moyenne nationale (1,2). Ces violences sont majoritairement liées aux trafics de stupéfiants, conséquence de la position de l’île sur les routes de la cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe.
Face à cette réalité, l’État privilégie une stratégie coercitive.
Opérations « coup de poing » du préfet et du procureur, saisies d’armes et de drogues, renforts temporaires de CRS ou du GIGN : autant de mesures spectaculaires destinées à marquer l’opinion. Le recours accru aux comparutions immédiates, notamment pour les jeunes majeurs, contribue toutefois à aggraver la surpopulation carcérale : la maison d’arrêt de Ducos dépasse aujourd’hui 150 % de taux d’occupation.
On assiste à une transposition mécanique des politiques sécuritaires hexagonales. Dans le contexte de persistance de trois fragilités structurelles : un chômage massif des jeunes (environ 35 % des 15–24 ans selon l’Insee), un fort décrochage scolaire et un déficit criant d’infrastructures socio-éducatives. Autant de facteurs que les politiques punitives ne prennent pas en compte, renforçant le risque de stigmatisation et d’impasse sociale.
En juin 2025, le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions de la loi Attal sur les mineurs et de la loi antidrogue, réaffirmant l’importance des garanties procédurales. Mais ces décisions ne changent pas la trajectoire sécuritaire globale.
La Martinique se trouve donc face à un dilemme : des chiffres qui n’indiquent pas une explosion de la délinquance, mais une perception dominée par les violences armées et les faits divers. Dans un territoire marqué par de profondes inégalités sociales, la surenchère sécuritaire risque d’accentuer les fractures plutôt que de les résorber.
Jean-Paul BLOIS