Un hommage vivant
La Ville du Lamentin a choisi d’ouvrir un chemin singulier en rendant hommage à Édouard Glissant par un cycle de conférences qui s’étend d’avril à décembre 2025, sous la houlette de Loïc Céry et de l’Institut du Tout-Monde. Cinq rendez-vous, comme autant de haltes sur un itinéraire qui relie Lézarde et Cohée, deux lieux symboliques où s’inscrit la trajectoire de celui qui fit du Lamentin le rhizome premier d’une pensée-monde.
Les étapes d’un itinéraire
Le premier rendez-vous en avril a rappelé l’évidence d’un ancrage : Glissant est né ici, dans la rumeur de cette terre martiniquaise, mais son œuvre n’a cessé de se déployer vers le large, offrant au monde une poétique de la relation. En juin, la réflexion s’est tournée vers l’identité, l’histoire et la mémoire, posant la question de savoir comment un lieu peut porter en lui toute une politique de l’existence. En août, les notions cardinales de créolisation, de Tout-Monde et de mondialité ont été mises en avant, non comme concepts figés mais comme tremplins pour redéfinir l’universel. À l’automne et en décembre, deux nouvelles étapes poursuivront ce déploiement, toujours tendu entre l’insularité d’origine et l’horizon de l’universel.
Mémoire et responsabilité
Ce cycle n’est pas une commémoration figée. C’est une manière de faire vivre la pensée, de l’arracher à l’ombre des célébrations pour l’offrir à l’actualité brûlante. Lamentin devient ici non pas simple décor, mais lieu actif où se rejoue la politique du lieu chère à Glissant, où se noue le dialogue entre mémoire de l’esclavage, héritage colonial, et invention d’un avenir ouvert. L’œuvre de Glissant nous invite à comprendre que la mémoire ne se réduit pas à la plainte, qu’elle peut devenir levier, qu’elle peut transfigurer l’horreur en responsabilité et en désir d’avenir.
Une boussole pour le présent
En convoquant ses grands concepts — créolisation, archipel, opacité — le cycle dit aussi que la pensée de Glissant demeure une boussole pour le présent. Face aux périls d’une mondialisation uniformisante, elle propose un universel bigarré, un universel qui ne dissout pas les différences mais les relie. C’est une arme contre les replis identitaires comme contre les impérialismes culturels, une invitation à vivre la diversité comme promesse et non comme menace.
Une traversée vers l’avenir
Au Lamentin, entre la rivière Lézarde et l’écho de Cohée, se dessine ainsi une traversée. Non un retour nostalgique vers un passé sanctuarisé, mais une avancée vers un avenir où la Martinique assume son inscription dans le Tout-Monde. Comme l’écrivait Glissant, il nous faut « consentir à l’inattendu de l’autre », et c’est bien ce que propose ce cycle : un geste d’ouverture, une manière de dire que la pensée née d’un lieu peut, sans se renier, éclairer le monde entier.
Jean-Paul BLOIS