2030 approche, mais l’ambition onusienne de « mettre fin au colonialisme » ne demeure qu’une promesse. L’ONU en est à sa quatrième décennie internationale pour l’élimination du colonialisme. La période 2021–2030 devait être celle de l’aboutissement. Pourtant, 17 territoires non autonomes (TNA) restent inscrits sur la liste des Nations Unies. Le dernier cas de décolonisation reconnu par l’ONU, celui du Timor oriental, remonte à 2002.
Certains analystes pensent que les blocages sont structurels, ils tiennent à une contradiction profonde entre le modèle de décolonisation issu de la Guerre froide et la réalité géopolitique, juridique et humaine du XXIe siècle.
Le C-24 tourne à vide
Le Comité spécial de décolonisation (C-24), organe institutionnel de l’ONU sur ces questions, créé en 1961 dans un monde bipolaire, est aujourd’hui délégitimé aux yeux des puissances administrantes (Royaume-Uni, France, États-Unis, Nouvelle-Zélande), qui ne le reconnaissent ni comme légitime, ni comme utile.
L’ONU agit comme si les petits territoires insulaires du Pacifique ou les confettis coloniaux de l’Atlantique pouvaient suivre le même chemin que les anciennes colonies d’Afrique. Ce décalage est devenu abyssal.
Les puissances tutélaires manœuvrent, les peuples hésitent
Les puissances administrantes ont adapté leur stratégie. Le Royaume-Uni sanctuarise ses territoires par référendum, invoquant la démocratie pour pérenniser son emprise. La France, arc-boutée sur l’idée d’une République indivisible, a concédé des processus négociés, mais reste rétive à toute reconnaissance onusienne de ses Outre-mer comme TNA. Les États-Unis, quant à eux, maintiennent une ambiguïté juridique sur leurs territoires « non incorporés », comme Guam ou les Samoa américaines. Seule la Nouvelle-Zélande a réellement tenté d’accompagner un processus de libre association.
Mais il faut aussi entendre les peuples concernés.
Beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas l’indépendance, mais réclament plus de justice, plus d’autonomie, plus de respect.
À Tokelau, aux Samoa américaines, aux Îles Caïmans, l’attachement à la stabilité économique et à la citoyenneté d’un État développé l’emporte souvent sur l’appel aux drapeaux. La décolonisation ne se heurte pas seulement à la mauvaise volonté des puissants : elle est aussi freinée par les inquiétudes concrètes des petites populations face à un saut dans l’inconnu.
Nouvelle-Calédonie : entre innovation constitutionnelle et mémoire coloniale
L’accord de Bougival, signé en juillet 2025 entre l’État français, les loyalistes et une partie du camp indépendantiste, illustre à la fois l’inventivité institutionnelle et les limites politiques du processus. La création d’un « État de Nouvelle-Calédonie » au sein de la République, avec double nationalité et gouvernement constitutionnel, est un précédent. Mais ce compromis devra être validé par référendum en 2026. Or, comme l’a montré le boycott du vote de 2021, la fracture mémorielle et identitaire entre Kanaks et non-Kanaks demeure vive.
Si l’accord réussit, il pourrait offrir un modèle d’association souple pour d’autres territoires.
Mais il ne masquera pas la question centrale : peut-on réellement parler de “fin du colonialisme” sans reconnaissance formelle des passés imposés et sans transfert réel de souveraineté ? Et avant tout favoriser un développement endogène de ces territoires qui assure aux populations concernés bonheur et stabilité ?
Refonder plutôt que répéter
Il est temps de refonder le processus de décolonisation. Non pas en le sabordant, mais en le modernisant. Pour ce faire, reconnaitre la pluralité des trajectoires : l’indépendance n’est pas le seul horizon. Des formes d’autonomie maximale ou de libre association peuvent répondre aux aspirations des peuples. Il faut focaliser l’effort sur l’autonomie réelle, et non sur le retrait administratif de la liste onusienne.
Accompagner économiquement les micro-territoires, pour briser le chantage à la dépendance doit être la priorité du processus. Il faut clarifier le droit à l’autodétermination — qui vote ? Quand ? Selon quelles règles ? — pour éviter les impasses comme au Sahara occidental. Il faut aussi oublier l’adage selon lequel “le payeur est le décideur”…
Rompre avec le formalisme onusien
L’ONU peut- elle abandonner son rituel décennal. Peut-elle substituer l’action au discours et où la carte des derniers TNA reste inchangée. La décolonisation n’est pas finie. Mais elle ne peut plus se penser comme en 1960.
Elle exige des institutions renouvelées, une écoute sincère des peuples concernés, et le courage de remettre en question les habitudes diplomatiques autant que les inerties juridiques. Sans cela, l’ONU risque de célébrer en 2030… un nouvel échec bien présenté.
Gérard Dorwling-Carter