La critique formulée par Michel Branchi, économiste et rédacteur en chef du journal Justice, à l’encontre de Gérard Dorwling-Carter et de Jean-Marie Nol, met en lumière un affrontement stratégique entre deux conceptions du changement institutionnel dans les outre-mer. D’un côté, Branchi prône une transition rapide vers l’article 74 de la Constitution, condition selon lui indispensable pour bâtir un nouveau modèle économique. De l’autre, Jean-Marie Nol défend une approche plus progressive, centrée sur la réforme de l’article 73 et sur la nécessité de reconstruire d’abord le socle économique avant d’engager un changement statutaire profond.
La priorité de Jean-Marie Nol : réparer le modèle économique avant de changer de statut
Pour Jean-Marie Nol, toute transformation institutionnelle doit reposer sur un principe de responsabilité pragmatique. À ses yeux, il est illusoire de croire qu’un changement de statut, aussi radical soit-il, suffira à résoudre les blocages structurels actuels. Son constat est clair : les économies guadeloupéenne et martiniquaise reposent sur un modèle hérité, exogène, marqué par une forte dépendance aux transferts publics, un manque de productivité locale, un tissu entrepreneurial fragile, et une jeunesse en perte de repères. Dans ce contexte, introduire un nouveau cadre institutionnel sans avoir au préalable mis en place des leviers économiques solides reviendrait à construire sur du sable.
Pour Michel Branchi, l’autonomie est la condition du développement
À l’inverse, Michel Branchi considère que l’absence de pouvoir normatif local est le principal verrou. Pour lui, le cadre actuel bride les initiatives locales et empêche l’émergence d’une véritable politique de développement endogène. En ce sens, l’article 74, en permettant une plus grande latitude législative, ouvrirait la voie à la construction d’un modèle économique alternatif. Son raisonnement est inversé par rapport à celui de JM Nol : ce n’est pas parce que le modèle économique est déficient qu’il ne faut pas changer de statut, c’est parce qu’on ne change pas de statut qu’il reste déficient.
Les limites d’un changement statutaire précipité
La réponse de Jean-Marie Nol souligne plusieurs failles stratégiques dans la vision de Michel Branchi. Premièrement, elle fait l’hypothèse optimiste que le transfert de compétences suffirait à générer une dynamique vertueuse. Or, les exemples internationaux (comme celui de la Nouvelle-Calédonie) montrent que l’autonomie institutionnelle sans capacité de pilotage, sans vision partagée et sans ressources solides, peut mener à une impasse. Deuxièmement, cette position semble ignorer les possibilités offertes par une réforme renforcée de l’article 73, notamment via des mécanismes d’habilitation législative, de différenciation territoriale et d’expérimentation normative.
Un scénario intermédiaire : réforme de l’article 73 et montée en puissance graduelle
Jean-Marie Nol propose donc un scénario d’entre-deux, à la fois plus réaliste et plus prudent : une réforme ambitieuse de l’article 73 qui donnerait aux territoires des marges d’action accrues sans renoncer aux transferts budgétaires garantis par le droit commun. Ce cadre réformé permettrait d’expérimenter localement des politiques économiques alternatives, tout en préparant les conditions matérielles et humaines d’un futur changement statutaire éventuel. Dans un contexte de baisse des dotations et de tension sur les finances publiques de l’État, il serait risqué de fragiliser davantage les collectivités locales par une bascule institutionnelle prématurée.
Un État facilitateur plutôt qu’un désengagement central
L’analyse de Jean-Marie Nol appelle ainsi à un État accompagnateur, non pas à un retrait précipité de l’État central. Une réforme de l’article 73 permettrait de tester la capacité locale à gérer de nouvelles compétences, à innover dans les politiques publiques et à démontrer une réelle capacité de pilotage économique, avant d’engager une refonte constitutionnelle. Ce processus progressif aurait le mérite de responsabiliser les acteurs locaux et de créer un consensus autour d’un projet partagé.
Sortir de l’impasse sans précipitation
Jean-Marie Nol reconnaît néanmoins que l’impasse actuelle est intenable, et rejoint Michel Branchi sur ce constat. Mais là où ce dernier prône un changement de route immédiat, Nol suggère plutôt d’élargir la voie existante, d’en renforcer les fondations, et de ne bifurquer qu’en temps utile. L’autonomie, pour lui, ne doit pas être un objectif abstrait, mais le résultat d’un processus cohérent, expérimenté et validé par des résultats tangibles.
Une préparation responsable à l’autonomie, non une opposition dogmatique
En définitive, l’approche de Jean-Marie Nol n’est ni frileuse ni passéiste : elle représente une stratégie de transition maîtrisée vers une éventuelle autonomie, en refusant de faire de celle-ci une fin en soi. Elle appelle à repenser le développement avant de réécrire l’institution, à tester les instruments avant de changer la partition. C’est peut-être, paradoxalement, la voie la plus sûre pour atteindre un jour une autonomie réellement fondée sur la souveraineté économique, la légitimité politique et l’adhésion populaire.