Dans ce texte écrit en juin 2012, le regretté Édouard de Lépine livrait une réflexion incisive sur un moment charnière de l’histoire institutionnelle de la Martinique : la mise en place de la Collectivité et de l’Assemblée uniques, appelées à remplacer le Département et la Région. Alors que les élections législatives approchaient, il dénonçait le silence des candidats et la complaisance médiatique autour d’un enjeu pourtant crucial : la représentativité et le mode de fonctionnement de cette future instance. Entre critique du compromis politique et mise en garde contre la marginalisation des communes, De Lépine appelait à ne pas laisser passer l’occasion de transformer réellement la gouvernance locale.
LE CHANGEMENT C’EST MAINTENANT CE N’ÉTAIT PAS AVANT-HIER
Par Edouard de Lépine
Parce qu’elles se dérouleront moins de deux ans avant l’un des plus importants tournants de notre histoire : la mise en place de la nouvelle Collectivité et de l’Assemblée uniques qui remplaceront le Département et la Région en même temps que notre vieux Conseil Général (143 ans) et notre jeune Conseil Régional (31 ans), les prochaines élections législatives revêtent un caractère exceptionnel.
C’est en effet à al prochaine Assemblée Nationale que devrait se décider en définitive le mode d’élection et al fonction de notre Assemblée unique, l’outil le plus important pour toute amélioration significative de notre situation au cours de la prochaine décennie. Un outil dont l’efficacité dépendra de la qualité et de la représentativité de ceux qui vont y siéger. C’est à eux qu’il appartiendra de négocier avec le pouvoir central, dans le respect de la constitution, les habilitations, les adaptations et les moyens qui leur paraîtront indispensables pour jouer pleinement le rôle qu’on est en droit d’en attendre : tourner définitivement la page de la colonisation pour ouvrir celle d’une responsabilité de plus en plus grande dans la gestion de nos propres affaires.
Il paraît que ce problème serait un faux problème et en tout cas « un problème de trop » que nous n’avons pas à aborder, et qui d’ailleurs n’intéresse pas les électeurs, beaucoup plus préoccupés par leurs difficultés quotidiennes concrètes que par le mode d’élection des futurs conseillers de la future Assemblée Unique : le chômage, l’emploi, la vie chère, l’éducation, al santé, le logement insalubre, les transports, les pistes cyclables, le prix d’un «tombé-lévé »entre le Lamentin et le Morne Pitault, la biodiversité, les NTIC.
Il est vrai que nos 45 candidats peuvent compter sur la complaisance ou sur la complicité des journalistes pour éviter d’avoir à répondre aux questions qui fâchent ou qui pourraient gêner. Tout se passe donc dans cette campagne des législatives comme si le passage de notre ancien à notre nouveau statut était déjà hors sujet, l’essentiel étant déjà réglé, y compris et peut-être même d’abord pour ceux qui ont voté Holande, en promettant le changement pour demain et qui semblent considérer aujourd’hui que le changement, c’était hier ou même avant-hier puisque la principale revendication de al gauche depuis 03 ans, l’Assemblée Unique, avait été déjà décidée avec la loi de juillet 2011, sans parler des miracles de l’imaginaire au service de la politique.
On parle donc de tout et de n’importe quoi, dans cette campagne électorale, sauf de cette loi de juillet 2011 votée à la quasi-unanimité par le Parlement, majorité sarkozyste et opposition socialiste confondues. Cette loi fixe pourtant à la fois le mode de scrutin, baptisé « proportionnelle territorialisée », qui mettra en place l’instrument de notre libération, avec une prime de 20 qui constitue une véritable obscénité politique pour la liste arrivée en tête même avec une seule voix de majorité (0,01%?) et un mode de fonctionnement garantissant au moins pour six ans la stabilité de cette démocratie croupion.
Au nom de quoi le gouvernement français pourrait-il à la fois justifier le respect de l’engagement pris par le candidat François Hollande de faire abroger purement et simplement l’ensemble de al réforme territoriale sarkosiste, pour 98 des 100 départements français et 25 des 27 régions de France, et le refus de toucher à la queue de cette réforme, pas moins sarkozienne que son corps, pour les deux seules collectivités de Guyane et de Martinique ?
Pour respecter la volonté de la population ou celle des élus qui prétendent parler en son nom ? Le Président du PPM, Président du Conseil Régional et de la coalition qui dirige cette assemblée, assure que cette loi serait un compromis, une notion tout à fait acceptable et même recommandable dans une situation aussi délicate que la nôtre et qui pourrait donc se comprendre, si ce qui était en jeu ce n’était pas la mise à mort sans phrase de la représentation des cantons et finalement de nos communes qui constituent le noyau dur de la démocratie territoriale parce qu’elles sont historiquement la plus ancienne et politiquement la plus stable de nos institutions.
Consultations électorales qui l’intéresseront de moins en moins s’ils ont le sentiment que les décisions sont prises sans eux et parfois malgré eux quand ce n’est pas contre eux.
Le Robert 03/06/2012
Édouard de Lépine