Ce vendredi 21 novembre, les jardins de la Direction des Affaires Culturelles (DAC) de Martinique, à Fort-de-France, ont accueilli une soirée littéraire d’une forte intensité, dans le cadre du Festival En Pays rêvé. Porté avec constance, exigence et passion par sa fondatrice Viktor Lazlo, cet événement s’impose désormais comme l’un des grands rendez-vous littéraires de la Caraïbe, mêlant pensée, mémoire, transmission et création. Une soirée marquée par la force des échanges, la qualité des intervenants, mais aussi malheureusement par l’absence de Kamel Daoud, prix Goncourt 2024, contraint de renoncer à sa participation pour raisons de santé.
Une ouverture portée par la DAC et son directeur

La rencontre s’est tenue dans les jardins de la DAC, lieu devenu, au fil des éditions, un véritable espace de respiration culturelle. Johan-Hilel Hamel, Directeur des Affaires Culturelles, a rappelé l’engagement de l’institution en faveur de ce festival, soulignant sa dimension internationale, son ancrage caribéen et sa capacité à ouvrir l’administration culturelle aux artistes, aux écrivains et au public.
Dans son intervention, il a insisté sur le rôle fondamental de la lecture dans la construction de l’esprit critique, de l’imaginaire et du lien social, rappelant que la Martinique demeure une grande terre de littérature, riche d’auteurs, de lecteurs et de récits.
Une fondatrice saluée pour sa vision et sa ténacité

La soirée a également été marquée par un hommage à Victor Lazlo, fondatrice du Festival En Pays rêvé. Artiste, écrivaine et femme de conviction, elle a rappelé l’histoire singulière de ce rendez-vous littéraire : né d’une intuition, construit sans modèle, et développé avec une obstination rare.
Depuis sa création, le festival repose sur une ligne claire : la gratuité des événements, l’accès direct aux auteurs, la priorité donnée aux scolaires et la circulation des idées sur l’ensemble du territoire. Malgré des contraintes budgétaires récurrentes, la fondatrice poursuit son combat, mobilisant fondations, partenaires publics et privés, sans jamais céder sur l’indépendance artistique et éthique du projet.
Ce travail de fond, mené avec une équipe de bénévoles engagés, a été unanimement salué au cours de la soirée.

“Nos guerres indicibles” : une rencontre littéraire d’une grande profondeur
Le centre de la soirée a été consacré à une rencontre intitulée « Nos guerres indicibles », réunissant deux auteurs majeurs :
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Dorcy (Dorsey) Rugamba, auteur de Hewa Rwanda, lettres aux absents, œuvre bouleversante consacrée au génocide rwandais et à la disparition de sa famille.
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Olivier Norek, prix Renaudot des lycéens, pour Les Guerriers de l’hiver, consacré à la guerre d’Hiver en Finlande.
La modération a été assurée par Marie-Madeleine Rigopoulos, journaliste littéraire, dont la finesse d’analyse a donné à la rencontre une profondeur rare.
Les échanges ont porté sur la mémoire, le silence, la transmission, les blessures invisibles des guerres, et la place de la littérature comme espace de réparation, ou du moins de compréhension. Les auteurs ont évoqué la difficulté de dire l’indicible, la tentation de la colère, le combat intérieur pour rester humain après la destruction, et la nécessité des mots pour ne pas laisser la violence devenir la seule langue possible.
L’absence remarquée de Kamel Daoud
La soirée a été marquée par l’absence de Kamel Daoud, prix Goncourt 2024, initialement attendu pour cette rencontre. Souffrant, il n’a pas été en mesure d’être présent. Cette absence, annoncée avec émotion par l’organisation, a été ressentie par le public, tant sa participation était attendue. Ses excuses ont été transmises, et son engagement aux côtés du festival a été rappelé.

Une littérature vivante, incarnée, partagée
La présence de délégations étudiantes venues du Canada, l’artiste martiniquais Queen Ci pour l’accompagnement musical, ainsi que la forte implication du public, ont confirmé la singularité de ce festival :
Ici, les écrivains ne sont pas à distance, ils dialoguent, écoutent, partagent, dans un climat d’exigence et d’humanité.
Les livres des auteurs étaient proposés à l’issue de la rencontre, et un moment convivial a prolongé les échanges dans les jardins de la DAC, dans un esprit de partage fidèle à l’ADN du festival.
Un rendez-vous devenu indispensable
En quelques années, le Festival En Pays rêvé s’est imposé comme un espace rare : un lieu où les blessures de l’histoire rencontrent la beauté du verbe, où les silences deviennent des ponts, où les territoires entrent en conversation.
À travers cette édition du 21 novembre, Fort-de-France et la Martinique toute entière ont confirmé leur place comme terre d’accueil des grandes pensées contemporaines. Et à travers le travail de sa fondatrice, le festival mérite aujourd’hui d’être non seulement salué, mais encouragé, soutenu et célébré.
Le Festival En Pays rêvé se poursuivra jusqu’à dimanche, avec d’autres rencontres, cafés littéraires et rendez-vous ouverts au public.
Phiilippe PIED
À l’issue de la manifestation, nous avons rencontré Johan-Hilel Hamel, puis Viktor Lazlo.
Introduction
En quoi cette rencontre s’inscrit-elle dans la mission de la DAC ?
Cette soirée s’inscrit pleinement dans le cadre du Festival En Pays rêvé. Nous soutenons ce festival de manière très volontariste, car il constitue l’un des grands rendez-vous littéraires de la Caraïbe, avec une vraie dimension internationale.
Pourquoi était-il important d’ouvrir les jardins de la DAC à cet événement ?
Nous avons souhaité ouvrir les portes de l’administration culturelle au public, aux artistes et aux auteurs. Une administration ne doit pas seulement gérer, elle doit aussi être en lien direct avec les acteurs culturels du territoire et avec la population.
Qu’est-ce que représente la littérature pour vous, personnellement et pour la société ?
Pour moi, la littérature est quelque chose de fondamental. C’est un acte intime, mais qui construit le collectif. Lire, ce n’est pas seulement se distraire, c’est développer son esprit, sa capacité à comprendre le monde, à devenir un citoyen plus conscient. La littérature permet de voyager, de s’évader, de penser autrement. Là où les réseaux sociaux réduisent parfois la pensée à des slogans, le livre offre une profondeur irremplaçable. La Martinique est une grande terre de littérature, un territoire d’inspiration, et accueillir des écrivains ici, c’est affirmer que la pensée et l’imaginaire ont toute leur place dans notre société.
Quel message souhaitez-vous faire passer au public ?
Lire est un acte fondamental. La lecture développe l’esprit, la citoyenneté et le sens critique. Accueillir des auteurs du monde entier en Martinique rappelle que ce territoire est une grande terre de littérature et d’inspiration.
Victor Lazlo – Fondatrice du Festival En Pays rêvé
Pourquoi avoir créé un festival littéraire international en Martinique ?
Il était impensable qu’il n’existe pas de festival international de littérature en Martinique. Ce territoire a donné au monde de grands écrivains, poètes et penseurs, et méritait un événement à sa hauteur.
Quelles ont été les principales difficultés dans la construction de ce festival ?
Chaque année est un combat, notamment sur le plan financier. Rien n’est jamais acquis. Il faut chercher des soutiens publics et privés, défendre la place de la culture, et maintenir une exigence de qualité.
Quelle est la philosophie profonde du festival ?
La gratuité des événements est un choix fort. Les rencontres avec les scolaires sont le cœur du projet. Je veux que les écrivains soient accessibles, que le public puisse dialoguer avec eux, sans barrières. La culture ne doit pas être un privilège, mais un bien commun.



