Dans les années 1920, bien avant de devenir le dirigeant de la République démocratique du Viêt Nam, Hồ Chí Minh s’installe en France et aux États‑Unis où il milite dans les milieux communistes et anticoloniaux. C’est à cette période qu’il écrit en français une série d’articles réunis sous le titre La Race Noire. Ce recueil, publié en 1925, comprend treize textes qui s’attaquent frontalement aux injustices raciales, à la ségrégation et à la violence dont sont victimes les Afro‑Américains et plus largement les peuples noirs à travers le monde.
Les articles sont nourris par des observations directes, des lectures de presse et des échanges avec des militants noirs aux États‑Unis, en particulier à Harlem, où Hồ Chí Minh fréquente des membres de l’Universal Negro Improvement Association de Marcus Garvey. Il y dénonce sans détour les lynchages publics, les lois ségrégationnistes dites Jim Crow et l’impunité dont bénéficient des organisations comme le Ku Klux Klan. À ses yeux, la « race noire » est la plus opprimée et la plus exploitée de la famille humaine, et cette oppression ne peut être comprise qu’en lien direct avec l’impérialisme et le capitalisme mondiaux.
Lynching
Dans l’article intitulé Lynching, Hồ Chí Minh décrit en détail les violences extrêmes commises contre les Afro‑Américains, y compris la torture, le brûlage et parfois la mise en vente macabre de restes ou de photographies comme souvenirs. Il s’agit pour lui d’un révélateur de la barbarie sociale qui persiste dans une démocratie américaine se présentant comme modèle de liberté. Dans d’autres textes, il analyse les lois de ségrégation raciale et montre comment elles institutionnalisent l’inégalité dans l’éducation, le logement, le travail et l’accès aux droits civiques.
Il publie en France
L’essai Class Solidarity, publié en 1925 dans L’Humanité, prend un tournant international en relatant le procès du marin noir brésilien José Léandro da Silva, condamné à trente ans de prison pour sa participation à une grève. Hồ Chí Minh y dénonce non seulement l’injustice raciale mais aussi l’exploitation économique des travailleurs noirs, soulignant la nécessité d’une solidarité internationale entre mouvements ouvriers et luttes anticoloniales.
Ces écrits font partie des premières prises de position d’un dirigeant asiatique en faveur des luttes noires, à une époque où la plupart des débats sur l’égalité raciale restaient confinés aux cercles afro‑américains et européens. Hồ Chí Minh perçoit le combat des Afro‑descendants comme indissociable de la lutte contre l’impérialisme colonial. La libération des peuples colonisés en Asie, en Afrique et dans les Amériques constitue à ses yeux un seul et même front.
The Black Race
En 2021, l’ensemble de ces articles, enrichi de sept autres écrits rédigés entre 1922 et 1966, est publié en anglais sous le titre The Black Race by Ho Chi Minh and Selected Works on Systemic Racism. Cette édition moderne met en évidence la portée universelle et toujours actuelle des analyses de Hồ Chí Minh. Les textes y sont décrits par les universitaires comme percutants, accessibles et empreints d’un humanisme militant qui conserve une pertinence frappante face aux enjeux contemporains du racisme systémique.
La réception académique contemporaine est élogieuse. Joe Pateman, chercheur à l’université de Sheffield, voit dans ces écrits un témoignage à la fois historique et politique, qui révèle l’attention particulière que Hồ Chí Minh portait aux luttes des peuples noirs. Ces articles suscitent l’intérêt de chercheurs travaillant sur la pensée anticoloniale globale, mais aussi de militants impliqués dans des mouvements comme Black Lives Matter, qui y trouvent un précédent dans l’articulation entre luttes locales et solidarité internationale.
Plus d’un siècle après leur rédaction, La Race Noire reste un document précieux, à la fois historique et politique.
C’est l’un des rares témoignages de l’époque qui articule explicitement la cause des Noirs aux États‑Unis avec les combats des peuples colonisés, et qui montre qu’un leader asiatique avait déjà compris que la lutte contre le racisme et la lutte pour la libération nationale étaient les deux faces d’un même combat.