Frantz Fanon, l’humaniste rebelle : entre psychiatrie et politique, un héritage encore vivant.
Le colloque international sur l’ethnopsychiatrie, organisé au Centre hospitalier Maurice-Despinoy, a permis de revenir sur une figure centrale de la pensée anticoloniale et de la psychiatrie humaniste : Frantz Fanon. Parmi les intervenants, le Dr Alex Bottius, psychiatre des hôpitaux et ancien chef de pôle au CHMD, a livré un témoignage précieux sur l’évolution de la psychiatrie en Martinique et l’influence toujours vivante de Fanon.
Avant Fanon : l’enfermement comme paradigme
« Avant Frantz Fanon, la prise en charge des troubles mentaux relevait d’une logique d’exclusion », rappelle le Dr Bottius. Les patients étaient internés dans des asiles, isolés, déshumanisés, et traités comme de simples objets médicaux. Cette médecine sans regard ni écoute participait d’un système de domination qui voyait dans la folie une nuisance sociale à contenir plutôt qu’une souffrance à comprendre.
Une révolution humaniste
Avec Fanon, et aux côtés de figures comme Maurice Despinoy à l’hôpital de Saint-Alban, un tournant majeur s’est opéré. Une nouvelle conception du soin s’est imposée : replacer la personne au centre du processus thérapeutique, rétablir le lien avec la famille, considérer les déterminants culturels dans l’analyse des symptômes. « Fanon a redonné un visage à ceux qu’on avait rendus invisibles », affirme le Dr Bottius. Cette révolution psychiatrique s’est aussi faite politique.
Psychiatrie et politique : un lien indissociable
Pour Fanon, la psychiatrie coloniale n’était pas neutre : elle participait activement à l’oppression. « Il a voulu renverser une psychiatrie au service de la domination », souligne Bottius. En Algérie, son engagement politique et thérapeutique visait la désaliénation, non seulement des patients, mais aussi des peuples colonisés. Ce combat, Fanon et Despinoy l’ont mené sur deux fronts, en Algérie et en Martinique, dans une même volonté de libération.
Une trace encore vive en Martinique
L’héritage de Fanon demeure dans les pratiques actuelles, même si, selon le Dr Bottius, « il existe encore des résistances, des préjugés tenaces, une difficulté à accepter pleinement les troubles psychiques ». Le modèle fanonien invite toujours à une psychiatrie plus ouverte, ancrée dans la réalité sociale et culturelle du patient. L’enjeu est de faire de la psychiatrie un outil de libération et non de marginalisation.
Un centenaire à célébrer
Le Dr Bottius appelle à célébrer « un destin exceptionnel, un engagement universel ». Car Fanon, martiniquais et militant internationaliste, appartient à l’histoire mondiale de l’émancipation. Son œuvre reste un guide pour tous ceux qui refusent de séparer soin et dignité, politique et humanité.



