L’« automne doré » de la France et des Européens : une analyse transposable à la Martinique ?
Dans un essai publié sur Herodote.net, André Larané, historien et fondateur du site, propose une lecture optimiste du présent. Selon lui, malgré le sentiment de chaos relayé par les médias, jamais l’humanité n’a autant progressé qu’en ce début de XXIe siècle (Herodote.net, 2025).
L’auteur rappelle d’abord quelques indicateurs objectifs :
la disparition des grandes famines depuis près d’un demi-siècle, l’élévation spectaculaire de la disponibilité alimentaire mondiale (de 2 200 kcal/jour/habitant en 1900 à 3 000 kcal en 2020), l’éradication des grandes endémies (variole, choléra, lèpre, peste) et le contrôle rapide des nouvelles pandémies comme le sida ou la Covid-19. Ces progrès se traduisent par un doublement de l’espérance de vie, passée de 35 ans en 1900 à plus de 70 ans aujourd’hui (82 ans en France), ainsi que par une alphabétisation de masse : de 20 % de la population adulte en 1900 à près de 90 % aujourd’hui (UNESCO).
Plus inattendu, Larané souligne la réduction de la violence :
les guerres d’État à État ont causé moins d’un million de morts dans chacune des deux premières décennies du XXIe siècle, un plancher historique. Les Européens, et notamment les Français, apparaissent comme les principaux bénéficiaires de ce « grand bond en avant », qu’il compare à la révolution néolithique.
Cette situation découle, selon lui, d’un héritage millénaire :
la prohibition des guerres privées, l’émancipation progressive des femmes, l’égalité des droits, la démocratie représentative, la séparation de la foi et de la raison, autant de principes issus de la chrétienté médiévale européenne et consolidés au fil des siècles (Notre Héritage, ce que la France a apporté au monde, 2025). L’Europe aurait ainsi bâti une « société de confiance » propice aux initiatives et aux progrès, avant de traverser les épreuves du XIXe et du premier XXe siècle. Depuis 1945, protégés par le « parapluie nucléaire américain », les Européens jouiraient d’un équilibre singulier entre tradition et modernité, fruit d’une lente maturation historique.
Applicabilité à la Martinique
L’analyse d’André Larané éclaire un contexte européen marqué par la paix relative, la prospérité et un héritage institutionnel multiséculaire. Mais peut-elle être transposée à la Martinique ?
Des acquis comparables :
la population martiniquaise bénéficie elle aussi des grands progrès universels : espérance de vie élevée (84 ans en moyenne selon l’INSEE, supérieure à la métropole), accès à l’éducation, sécurité alimentaire, baisse de la mortalité infantile. La Martinique fait partie de cet « automne doré » décrit par Larané, grâce à son appartenance à la République française et à l’Union européenne.
Des fragilités spécifiques :
toutefois, l’île reste confrontée à des défis structurels que l’analyse de Larané n’intègre pas : dépendance économique, chômage élevé des jeunes, fuite des cerveaux, vulnérabilité aux chocs extérieurs (cyclones, crises sanitaires, flambée des prix), séquelles environnementales et sanitaires du chlordécone. Le modèle social protecteur, qui garantit un niveau de vie supérieur à la moyenne caribéenne, est fragilisé par la dette publique française et la contraction budgétaire.
Un héritage historique différent :
contrairement à l’Europe qui a construit sur un millénaire ses institutions de confiance, la Martinique porte encore les cicatrices d’un passé colonial et esclavagiste qui affecte la relation à l’État, la confiance collective et la cohésion sociale. Là où l’Europe a bâti son « automne doré » sur la longue durée, la société martiniquaise cherche encore à concilier modernité et mémoire historique.
L’analyse d’André Larané met en évidence les progrès globaux de l’humanité et les bénéfices particuliers dont jouissent les Européens. La Martinique, en tant que région ultrapériphérique de l’Union européenne, partage une partie de ces acquis en matière de santé, d’éducation et de paix sociale. Mais l’applicabilité de ce diagnostic y reste partielle :
les vulnérabilités structurelles, environnementales et identitaires rappellent que l’« automne doré » n’est pas également distribué et que le défi, pour les sociétés ultramarines, consiste à transformer ces acquis en un véritable projet collectif de développement endogène. C’est cette évidence que beaucoup feignent de ne pas voir lorsqu’il est proposé de procéder aux changements propres à améliorer les choses.
Jean-Paul BLOIS