En janvier 2010, la Martinique a vécu en deux semaines un enchaînement institutionnel inédit : deux référendums successifs, deux questions différentes, deux réponses opposées. Le premier, le 10 janvier, portait sur un changement de régime constitutionnel : quitter l’article 73 de la Constitution pour l’article 74, c’est-à-dire passer d’un régime d’identité législative à un régime d’autonomie encadrée. La réponse fut nette : près de 79 % des votants rejetèrent cette perspective qui avait été votée en congrès par les élus.
À peine le temps de digérer ce verdict que, dès le 24 janvier, les électeurs étaient rappelés aux urnes. Cette fois, il ne s’agissait plus d’autonomie, mais d’organisation interne : fusionner le Conseil général et le Conseil régional en une seule collectivité territoriale, tout en restant dans le cadre de l’article 73. Le « oui » l’emporta avec 68 % des suffrages exprimés. Ainsi naissait, cinq ans plus tard, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM).
Une décision présidentielle, un tempo imposé
Ce second référendum n’est pas sorti du chapeau d’un élu local. Il a été décidé par le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy – pour la forme – sur proposition du Gouvernement, après consultation des élus martiniquais, conformément aux articles 72-4 et 73 de la Constitution.
Mais le calendrier interroge. Deux semaines seulement séparaient la consultation sur l’autonomie et celle sur la collectivité unique. Un délai si court qu’il laissait peu d’espace au débat public, à la réflexion collective, à la pédagogie institutionnelle.
Ce tempo a donné le sentiment d’un choix « rattrapé », comme si l’État avait voulu sauver une réforme institutionnelle coûte que coûte, après le camouflet de l’article 74. Une telle démarche, même juridiquement légitime, apparaît comme politiquement expéditive.
Un consentement clair… mais dans un contexte saturé
Certes, la victoire du « oui » au second scrutin ne souffre pas d’ambiguïté. Mais la campagne électorale, imbriquée dans celle du premier référendum, s’est jouée sur fond de lassitude citoyenne et de débats techniques peu accessibles. La question de la fusion des collectivités territoriales, bien qu’importante, a été éclipsée par le refus préalable de l’autonomie, comme si l’issue était déjà pliée.
La décision présidentielle de maintenir un second référendum aussi rapidement a eu pour effet de limiter la possibilité d’un large échange démocratique. Les arguments pour et contre la collectivité unique sont restés cantonnés aux cercles militants ou institutionnels, sans véritable appropriation populaire.
Une leçon pour là encore
Cet épisode interroge sur la manière de concevoir la démocratie référendaire. Consulter le peuple est un acte fort, mais encore faut-il lui laisser le temps de s’informer, de débattre, de se projeter. Sinon, le risque est grand que le scrutin ne reflète qu’un réflexe de circonstance, et non un choix pleinement éclairé.
La Martinique de 2010 n’a pas choisi l’autonomie, mais elle a accepté de transformer ses institutions. Quinze ans plus tard, il est permis de se demander si le calendrier précipité de l’époque n’a pas réduit la portée de ce second « oui », en l’inscrivant davantage dans une logique de rattrapage que dans un véritable projet partagé.
La leçon est simple : le respect du suffrage universel ne tient pas seulement à la sincérité du vote, mais aussi à la qualité du dialogue démocratique qui le précède.
Et cela, aucun décret présidentiel, fût-il signé par Nicolas Sarkozy, ne devrait pouvoir y échapper. Encore moins les élus, une fois votée la proposition de réforme décidée à l’occasion de la nouvelle démarche initiée pour l’obtention d’un pouvoir législatif autonome.
Gérard Dorwling-Carter