Du 27 juin au 18 août, l’Habitation Clément accueille, pour la première fois de son histoire, l’oeuvre d’un seul artiste, Jean-Marc Hunt, dans l’ensemble du bâtiment dédié à l’art contemporain. L’exposition monographique NEGATALENT ne recouvre pas moins d’une soixantaine d’œuvres originales, retraçant une vingtaine d’années de travail du plasticien guadeloupéen.
« Hunt a essayé de reconstruire le chaos mondial initial dans sa perspective colorée. Pour lui, la peinture, c’est exposer et édifier. Sa position ne tient pas compte de l’idéologie, de la flatterie esthétique, ni de la satisfaction de soi. Son but est plus de raconter que de montrer. Pour se faire, il choisit des moyens qui peuvent être directs, drôles, émouvants et nécessairement authentiques »
écrit le critique d’art Christian Bracy à son sujet.
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Jean-Marc Hunt est né à Strasbourg, en 1975, où il fait ses armes dans le graffiti et le rap développant une sensibilité expressive et urbaine. Il en garde un mode opératoire artistique minimaliste et libre . L’intensité et l’urgence du geste, relève de cette pratique des arts des rues. « Mon atelier et mes œuvres tiennent dans un sac à dos. Je remplis des carnets de croquis durant mes voyages, que je maroufle ensuite sur toile pour chaque exposition », expliquet-il. L’outil central de son travail est le papier qui lui laisse une grande liberté . Acrylique, huile, encre et spray y sont apposés dans une démarche expérimentale.
L’artiste s’installe en Guadeloupe en 2003 d’où il rayonne à l’international. Jean-Marc Hunt participe, depuis la Guadeloupe, à de nombreuses expositions collectives tant en Caraïbes, qu’en Europe, ou aux Etats-Unis. Il contribue à la 59 ème Biennale d’art contemporain de Venise en 2019.
Il nous présente aujourd’hui, à l’Habitation Clément, une exposition protéiforme. Elle se compose de trois séries de toiles( « Negropolitan museum », « récits cosmogoniques », «Jardin créole »), de deux installations( « Le bal des vanités » 2017, « Fitneg Garden » 2024) , de sculptures (« Bwa City » 2023, « Bwa Soukougnan » 2023) et d’une composition murale (Volan, 2023, série Negropolitan Museum).
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Le travail de Jean-Marc Hunt se caractérise par son style néo-expressioniste où les couleurs vives, le mouvement, les sens symboliques résonnent et s’entrechoquent avec une certaine violence. Des mots apparaissent sur les toiles à l’envers, comme dans un miroir. Des codes et des symboles égrainent l’œuvre pour nous livrer un message énigmatique et complexe sur nos sociétés contemporaines d’outre-mer. L’artiste nous raconte l’Histoire et les histoires qui fondent la trame de l’imaginaire collectif de nos iles, par fragments (« récits cosmogoniques »). Tout relève de la distorsion, de la réappropriation identitaire personnelle des racines créoles. Il s’exprime sur le monde depuis sa posture de « negropolitain ». Il bénéficie, en effet, d’une certaine distance ontologique sur les problématiques qui traversent nos sociétés caribéennes. C’est le regard neuf et personnel de « l’étranger » qu’il pose sur les Antilles, pourrait-on dire à l’instar de Montesquieu dans ses Lettres Persanes (cf. Série « Negropolitan Museum »). Les souvenirs d’enfance se mêlent aux réflexions intérieures. Il met en problème la condition noire et antillaise. Il s’interroge sur leur réalité tant au niveau historique que mythologiques. Il souligne les continuités de la domination coloniale en terres caraïbes et met à mal les préjugés et les clichés subsistants.
En définitive, l’oeuvre de Jean-Marc Hunt dit la difficulté de l’être au monde-caraïbe à la croisé des cultures et des enjeux mondiaux, son éternel questionnement. Passé et présent se font échos, dans une œuvre sensible et engagée. « Il regarde la colonisation en face, comme l’esclavage et donne la parole aux muets pour rendre lisible aux aveugles des passés qui ne passent pas », affirme l’historien Pascal Blanchard à propos de son travail.
C’est comme si tout relevait d’un foisonnement inextinguible d’ émotions vivaces retranscrites dans l’urgence, la quête, le mouvement et la couleur. C’est une œuvre turbulente, subversive et électrique où les formes, les corps et les objets sont détournés, déformés, torturés. La palette des couleurs utilisées est large. Elles sont criardes, et coulent parfois sur les œuvres où se mêlent superpositions et accumulations, comme pour dire l’extrême richesse et fulgurance de l’inspiration de l’artiste. Les références culturelles et les hommages aux figures vaillantes de la résistance nègre se distillent dans toute son œuvre. On en veut pour exemple, l’hommage à Nina Simone dans installation « Fitneg ». L’oeuvre met en avant le combat de l’artiste pour devenir une concertiste reconnue dans une Amérique ségrégationniste.
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On peut noter également l’omniprésence du végétal qui apparaît de manière explosée, envahissante et luxuriante. C’est une nature face à laquelle le sujet doit se positionner. On en veut pour preuve la redondance du leitmotiv des deux mains levées symbolisant ce dialogue qui existe en permanence entre l’homme et la nature (cf la série « Jardin créole »). « L’expression vient sur la marque que laisse la nature sur l’homme et sur ce que l’homme laisse comme marque sur la nature. A partir de là, je travaille différentes symboliques sur lesquelles je retrace la grande histoire et l’histoire d’aujourd’hui », explique le plasticien. La série « Jardin créole » parle de cette tentative du sujet de s’extraire d’une société de consommation à outrance. Le jardin créole apparaît comme un acte de résistance, de rébellion, face à la pollution massive des terres, à leur exploitation intensive. C’est un espace de liberté et d’affranchissement qui s’inscrit dans notre culture depuis longtemps. C’est un milieu de création, de richesses, d’autosuffisance et de transmission.
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Le plasticien autodidacte aborde de temps en temps la sculpture et l’installation de manière symbolique. Il nous présente par exemple « Le bal des vanités » qui est en fait un grand mobile où l’on voit des crânes et des nuages , faits a partir du France-Antilles, tournoyer dans l’espace. L’artiste parle ici de la relation entre la France et les Antilles.
Cette installation s’apparenterait, selon le plasticien, à un ‘plafond de verre’ qui serait une danse langoureuse aux dessus de nos têtes. Elle nous empêcherait de nous développer, de nous interpréter à travers notre propre identité, raconte l’artiste.
Cet exposition NEGATALENT relève d’un engagement profond de Jean-Marc Hunt. Elle fait part de cette envie viscérale d’exister face au monde. Il s’agit pour lui de remettre en question la hiérarchisation des peuples, celle des identités. « c’est une question d’humanité », conclue la commissaire d’exposition, Mary-Lou Ngwe-Secke.
Leïla Gonier
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