Une « économie de jours » inutile.
C’est la nouvelle marotte du Premier ministre François Bayrou : pour relancer la machine économique française, il faudrait travailler plus… en supprimant deux jours fériés. Après avoir ciblé le lundi de Pâques et le 8 mai, il dit désormais rester « ouvert à d’autres dates ». Mais derrière cette proposition soi-disant pragmatique, se dessine une vision technocratique et ignorante des réalités sociales et culturelles des Outre-mer.
Car ce n’est pas seulement du temps de travail qu’on efface. C’est aussi l’histoire, la mémoire, les traditions et les droits sociaux.
Une proposition hors-sol pour des territoires déjà en tension
Dans les DOM, chaque jour férié est une respiration, un espace de mémoire ou de transmission. Qu’il s’agisse de Pâques, du 22 mai en Martinique, du 27 mai en Guadeloupe ou du 10 juin en Guyane, ces dates sont liées à des combats : abolition de l’esclavage, libération, rédemption spirituelle ou cohésion sociale.
Les supprimer, c’est non seulement heurter les consciences, dans des territoires où la précarité n’est pas une abstraction. Où la moitié des jeunes sont au chômage. Où travailler plus ne garantit pas vivre mieux.
Des chiffres qui trompent
Bayrou cite une moyenne de 666 heures travaillées par habitant en France, contre 724 en Allemagne. Mais il omet de préciser que le salarié français travaille plus d’heures que l’Allemand ou le Néerlandais : 1 494 heures par an contre 1 340 et 1 450. Ce ne sont pas les jours fériés qui plombent l’économie, mais le chômage de masse, les bas salaires, et l’insuffisance de formation. Supprimer deux jours chômés, c’est une rustine sur une plaie béante.
Et dans les DOM, où l’économie est structurellement dépendante, où l’emploi public joue un rôle stabilisateur, où le tissu productif local est fragile, le choc pourrait être brutal : davantage de pression sur les travailleurs, sans contrepartie salariale. Un effort unilatéral, sans justice.
Le refus de la différenciation
Ce qui choque le plus, c’est l’uniformité imposée. Une fois encore, aucune réflexion spécifique pour les Outre-mer. Alors que les réalités historiques et sociales y sont totalement différentes. On parle de territoires qui ont vécu l’esclavage, qui ont conquis leur dignité au prix de luttes dont les jours fériés sont les symboles.
Faut-il rappeler que ce sont déjà les Outre-mer qui cumulent les prix les plus élevés, les taux de pauvreté records, l’exode des jeunes diplômés et les inégalités les plus criantes ? Et ce serait encore à eux de faire l’effort, en silence ?
Une réponse idéologique à un problème structurel
Le discours de François Bayrou masque mal une politique d’austérité. Derrière la pédagogie budgétaire, il s’agit surtout de préparer les esprits à l’effritement des droits collectifs. Travailler plus, pour produire plus, pour gagner… quoi ? Rien ne garantit que les gains iront dans la poche des salariés. Rien ne dit que les DOM en bénéficieront.
Et surtout, rien ne remplace un jour férié perdu : ni dans le cœur des familles, ni dans la mémoire des peuples.
Les Outre-mer ne sont pas des variables d’ajustement.
Nous ne sommes pas responsables du surendettement de la France. Nous ne sacrifierons ni nos dates fondatrices, ni nos moments de cohésion, sur l’autel d’une politique budgétaire autoritaire.
Ce projet mérite un rejet net. Et une mobilisation à la hauteur de l’injustice qu’il porte.
Paul-Émile BLOIS