L’usage massif des plateformes numériques ne bouleverse pas seulement nos vies quotidiennes. Il pourrait aussi peser durablement sur la productivité et, à terme, sur la croissance économique. Plusieurs études internationales estiment que l’addiction aux réseaux sociaux, en réduisant le temps de travail effectif, la concentration et la qualité des apprentissages, pourrait coûter jusqu’à trois points de produit intérieur brut (PIB) d’ici 2060.
Un temps de cerveau capté par les plateformes
En moyenne, les Français passent plus de deux heures par jour sur les réseaux sociaux. Chez les 15-24 ans, cette durée dépasse souvent trois heures. Or, ce temps capté est en grande partie soustrait à d’autres activités, notamment le travail, la formation et la lecture. La situation n’est pas propre à la France : aux États-Unis, une étude de la Banque fédérale de San Francisco a montré que l’usage compulsif des plateformes numériques était devenu l’un des premiers facteurs de perte de productivité sur le lieu de travail.
Un impact direct sur la productivité
La productivité horaire, moteur central de la croissance à long terme, est directement affectée. Les interruptions liées aux notifications réduisent la concentration, rallongent les temps de tâche et fragilisent la qualité du travail accompli. Dans l’enseignement, la généralisation des usages numériques non maîtrisés entraîne une baisse de l’attention et une perte d’efficacité dans l’apprentissage. À terme, c’est la formation du capital humain qui est menacée.
Les projections menées par l’OCDE dans le cadre de ses scénarios « économie numérique » envisagent une perte potentielle de 0,05 point de croissance par an si les usages restent inchangés. Sur une quarantaine d’années, cela représente environ trois points de PIB.
Un risque d’inégalités accrues
L’addiction aux réseaux sociaux ne touche pas toutes les catégories sociales de la même manière. Les jeunes les plus défavorisés, moins encadrés et plus dépendants des contenus gratuits, sont davantage exposés à des effets de décrochage scolaire. De l’autre côté, les cadres supérieurs parviennent plus souvent à transformer leurs usages en leviers professionnels ou en opportunités de réseau. Le risque est donc d’accentuer encore les fractures sociales et générationnelles.
Des réponses encore timides
Face à ce constat, les politiques publiques avancent lentement. Quelques pays nordiques testent des « zones sans écran » dans les établissements scolaires, tandis que certaines entreprises imposent des plages horaires déconnectées. En France, le débat reste dominé par les questions de protection des mineurs, mais la dimension économique commence à apparaître dans les rapports parlementaires.
Préserver la croissance par la maîtrise du numérique
L’enjeu n’est pas de bannir les réseaux sociaux, mais d’apprendre à en maîtriser l’usage. Encadrer les notifications, réguler l’accès des plus jeunes, développer l’éducation au numérique et instaurer des règles de déconnexion au travail pourraient réduire l’impact négatif sur la productivité. À l’horizon 2060, la capacité des sociétés à concilier innovation numérique et efficacité économique pourrait bien décider de plusieurs points de croissance.
Jean-Paul BLOIS