En se ralliant à l’Initiative de Bakou contre le « colonialisme français », certains mouvements indépendantistes de l’hexagone et des outre-mer ont pris un risque : celui de faire une revendication – pour beaucoup légitime- être instrumentalisée géopolitiquement.
Le discours n’est plus seulement celui de la mémoire, de l’émancipation ou de la justice sociale.
Il devient un élément de langage dans une guerre hybride étrangère, téléguidée depuis une capitale à 5 000 kilomètres de Paris. L’Azerbaïdjan, en orchestrant un front anti-français autour de son propre contentieux caucasien, a tendu un piège. Certains mouvements français et d’outre-mer y ont sauté les deux pieds joints, en pleine conscience.
Un combat local, une alliance étrangère.
Depuis juillet 2023, le Groupe d’Initiative de Bakou (GIB), parrainé par le régime d’Ilham Aliev, prétend incarner la résistance des peuples colonisés à la domination française. On y trouve des figures du FLNKS, du Parti de la libération de la Martinique, de Corsica Libera, ou encore de Guyane. Cette coalition improbable ne s’est pas constituée autour d’un projet partagé, mais autour d’un parrainage d’occasion.
Le discours du GIB reprend les grands thèmes du lexique postcolonial — autodétermination, mémoire, antiracisme, justice historique — mais les met au service d’un acteur étranger poursuivant des buts stratégiques qui n’ont rien à voir avec l’avenir des territoires français. Il ne s’agit pas d’une simple solidarité internationale. Il s’agit d’un embrigadement tactique dans une guerre informationnelle visant à affaiblir la France en retour de ses positions sur le Haut-Karabakh.
Consentir à l’instrumentalisation
Ce qui interroge, ce n’est pas que des militants indépendantistes cherchent à internationaliser leur cause. Cela est dans la logique de toute lutte de reconnaissance. Ce qui frappe ici, c’est le degré de conscience avec lequel ils acceptent cette instrumentalisation. Ils ne sont pas dupes. Ils savent que l’Azerbaïdjan est une dictature pétrolière. Ils savent que Bakou ne soutient pas les droits des peuples, mais ses propres intérêts.
Et pourtant, ils signent, ils déclarent, ils relaient. Pourquoi ?
Parce que dans cette guerre des récits, tout soutien est bon à prendre, fût-il toxique. Parce que l’ennemi de mon ennemi devient un allié, même si son combat n’est pas le mien. Parce qu’il est vrai aussi qu’il est plus facile de gagner une tribune à Bakou qu’un dialogue à Paris.
Mais ce calcul est à courte vue. Car en se ralliant à une puissance qui ne respecte ni les minorités, ni les libertés fondamentales, ces mouvements perdent une part de leur légitimité éthique et politique. Ils se rendent vulnérables à l’accusation de duplicité : comment réclamer la dignité nationale tout en se mettant au service d’une diplomatie de représailles ?
Une guerre hybride étrangère.
L’Initiative de Bakou n’est pas une campagne de solidarité Sud-Sud. C’est une stratégie qui consiste à retourner les tensions internes françaises contre la France elle-même. C’est une méthode empruntée à la Russie ou à la Chine : amplifier les clivages internes, promouvoir les discours de fragmentation, miner l’image internationale d’une démocratie libérale.
Les mouvements souverainistes français qui s’y prêtent deviennent ainsi, consciemment, des agents indirects d’un conflit stratégique étranger. Ils s’insèrent dans un échiquier qui les dépasse, en croyant jouer leur propre partie. Dans ce jeu, ils sont des pions au même titre que nos bénis oui-oui idolâtres du siècle passé de la mère patrie.
L’éthique de l’émancipation.
L’histoire des luttes anticoloniales est traversée de choix moraux. Elle reste fondée sur une exigence : l’autonomie de pensée et d’action. Ce qui rend un combat juste, ce n’est pas seulement sa cause, c’est aussi la manière dont il est mené, les alliances qu’il accepte, les silences qu’il refuse.
Participer à une campagne orchestrée par une puissance autoritaire, au nom d’une mémoire décoloniale, c’est perdre le droit de dénoncer le néocolonialisme des autres. C’est affaiblir son propre combat en le livrant aux intérêts d’autrui.
Ne pas confondre stratégie et compromission
Les mouvements souverainistes ont une place dans le débat démocratique français. Ils expriment des colères légitimes, des blessures anciennes, des aspirations à la reconnaissance. Mais cette place se perd si elle se transforme en caisse de résonance pour des puissances étrangères en quête de revanche.
Face à la tentation d’un « internationalisme frelaté », aligné sur des régimes autoritaires, il faut rappeler une évidence : toutes les alliances ne sont pas stratégiques ; certaines sont opportunistes.
Gérard Dorwling-Carter



