En Martinique, la question coloniale n’appartient pas au seul registre de l’histoire. Elle traverse le quotidien, les rapports sociaux, les débats politiques et les imaginaires collectifs. Ici plus qu’ailleurs, la colonisation n’est ni abstraite ni lointaine : elle s’inscrit dans les paysages, les structures économiques, la question foncière, les inégalités persistantes et les mémoires familiales. Dès lors, l’interrogation revient avec une acuité particulière : la France doit-elle s’excuser de la colonisation, réparer, reconnaître, ou simplement transmettre autrement ce passé ?
La difficulté tient au fait que la colonisation n’est pas une mémoire unifiée.
Elle est multiple, parfois contradictoire, souvent douloureuse. En Martinique, elle ne se réduit ni à l’esclavage, ni à l’abolition de 1848, ni même à la départementalisation de 1946. Elle constitue un long continuum historique dont les effets se prolongent jusqu’à aujourd’hui.
Contrairement à de nombreux territoires africains ou asiatiques, la Martinique n’a pas connu de processus classique de décolonisation.
L’abolition de l’esclavage, puis l’intégration institutionnelle à la République française, ont longtemps été présentées comme une sortie du système colonial. Pourtant, la République coloniale ne disparaît pas avec l’égalité juridique proclamée : elle se reconfigure.
La départementalisation a permis des avancées sociales réelles, mais elle n’a pas effacé les déséquilibres hérités de l’économie de plantation : concentration foncière, dépendance commerciale, faible autonomie productive. Ces réalités nourrissent aujourd’hui encore le sentiment d’un « colonialisme sans empire », où la domination n’est plus militaire mais structurelle.
L’un des enjeux majeurs en Martinique reste la place accordée à l’histoire coloniale dans le récit national français.
Longtemps, cette histoire a été marginalisée, édulcorée ou réduite à quelques dates symboliques. L’absence de récit partagé alimente les fractures mémorielles.
Les représentations raciales construites pendant la période coloniale ont laissé des traces profondes : hiérarchisation des couleurs de peau, intériorisation de la domination, rapports ambigus à la culture européenne et aux héritages africains et amérindiens. Ces mécanismes influencent encore les rapports sociaux contemporains. Il faut les repérer, en mesurer les conséquences et les déjouer.
La question de l’excuse trouve en Martinique une résonance particulière.
Pour beaucoup, parmi,les plus réalistes, il ne s’agit pas d’obtenir une repentance abstraite, mais une reconnaissance claire des faits et de leurs prolongements économiques et sociaux.
S’excuser de la colonisation n’est peut-être pas la bonne question.
L’urgence réside dans la capacité collective à regarder ce passé sans déni ni instrumentalisation. En Martinique, ce travail de lucidité est indissociable d’un projet politique, culturel et social.



