Le PKLS nous a transmis son journal (Patriyot d’octobre 2025) et nous avons extrait un article en créole que nous avons traduit et commenté. Il s’agit d’un débat d’idées que nous espérons féconds et propres à poser des repères dans la démarche d’affirmation de notre identité …
— La langue martiniquaise, la langue de nos mères, ils ne pourront pas nous empêcher de la parler ni de l’écrire. Si rien n’est fait, dans quelques années, notre langue, déjà fragilisée, risque de disparaître.
L’an dernier, beaucoup de belles paroles ont été prononcées ; on aurait pu croire que la CTM était prête à s’engager avec l’État français sur la question de l’usage de notre langue, comme nous le souhaitons. Mais en réalité, ce ne furent que de grands gestes sans suite.
Le préfet — ce petit colon qui se veut plus important que tout le monde a bombé le torse et dit au président de la CTM : « Va te coucher avec tes histoires de créole que tu veux introduire à la CTM, qui est une institution de l’État français. C’est moi, représentant de la France, qui décide de tout ce qui se passe sur le sol martiniquais, puisque la Martinique fait partie de la France. »
Quand un chien est enragé, il mord, et il mord fort. Il n’est pas impossible que l’État français pousse un préfet borné à demander à un juge servile de faire condamner tout un peuple — pour qu’il ne parle plus sa langue, pour qu’il ne l’écrive plus, pour qu’il perde son âme.
Il ne faut pas laisser aucun courtisan faire des grimaces pour ridiculiser la langue martiniquaise. Mais il ne faut pas non plus nous décourager, ni fuir, ni nous laisser emporter par le désespoir.
Ils ont combattu la langue de nos ancêtres, ils ont brisé la langue de nos mères, ils ont plongé notre langue dans le sommeil.
La langue martiniquaise, c’est notre langue, celle qui nous appartient, le cœur même de notre culture : il nous faut manœuvrer intelligemment pour qu’elle ne disparaisse pas.
On disait autrefois : « notre langue n’est pas une langue ». Puis ils ont fini par dire : « c’est une langue régionale ». Ils ont failli dire : « c’est une langue départementale » — elle aurait déjà pris son envol. Bientôt, ils diront : « c’est une langue territoriale ».
Ils la méprisent, ils la dénigrent, pour ne pas lui donner la place qui lui revient. Ils disent que seuls quelques-uns la parlent, car ce qui compte pour eux, c’est le niveau de français que parlent les élites.
Nous disons, nous : la langue martiniquaise est la langue de la nation martiniquaise, la langue de tous les Martiniquais, la langue du peuple martiniquais.
Il ne faut pas tomber dans aucun piège concernant notre langue. Il ne faut pas la rabaisser, ni la déchirer. Il ne faut pas que notre peuple laisse qui que ce soit, d’où qu’il vienne, mettre notre langue à genoux.
Notre langue appartient à notre peuple, et c’est à notre peuple de la défendre avec des poteaux de fer. Jeunes, femmes, hommes, tout le monde : ne restons pas inactifs. Debout, ensemble, la tête haute !
Notre langue, c’est notre identité, notre dignité, le respect dû à ce qui a fondé notre être collectif. La langue martiniquaise est le moteur de notre esprit, la lumière qui éclaire notre chemin.
Une autre voie : la douceur comme résistance
Mais à cette affirmation violente, sinon belliqueuse de la langue, qui revendique avec force le droit d’exister, peut s’opposer une autre conception, plus ouverte, tolérante et douce. La violence des mots n’est pas une haine : elle est le cri d’un peuple blessé, à qui l’on a volé la parole. Mais une langue n’a pas besoin de vaincre pour vivre : il lui suffit de respirer, d’être parlée avec amour, transmise avec joie.
L’avenir du créole martiniquais ne repose pas sur la guerre contre le français, mais sur la cohabitation des imaginaires, sur la circulation entre deux musiques du monde. Il ne s’agit pas de dresser des murs linguistiques, mais d’inventer un espace de réconciliation, où la langue maternelle n’exclut pas la langue héritée, mais la complète, la nuance, la poétise.
Cette douceur n’est pas faiblesse, elle est maturité : la maturité d’une conscience linguistique qui a dépassé la colère pour entrer dans la création. La langue n’est plus une arme, mais un chant ; non plus une frontière, mais une passerelle. C’est dans ce souffle que la langue martiniquaise peut pleinement rayonner — non comme outil de résistance seule, mais comme voix de la relation, selon la belle pensée d’Édouard Glissant.
Fort-de-France, octobre 2025
© Antilla – Rédaction culturelle