Saisi par le Gouvernement le 14 juin, le Conseil d’État a rendu public son avis sur le projet de loi visant à lutter contre la vie chère dans les territoires ultramarins. Ce texte, remanié à deux reprises les 17 et 22 juillet, comporte seize articles regroupés en quatre volets : soutien au pouvoir d’achat, transparence économique, concurrence et appui au tissu économique local. Contrairement à ce qui a pu être diffusé par ailleurs, il approuve l’essentiel des mesures de régulation des prix et de transparence commerciale. Il convient pour bien apprécier les enjeux d’une question aussi importante pour l’outre-mer d’être correctement informé sur tous ses aspects.
Un périmètre large, mais des études d’impact jugées insuffisantes
Le projet s’appliquerait à la majorité des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Le Conseil d’État regrette que l’étude d’impact n’ait pas évalué précisément l’effet des précédentes lois sur la régulation économique outre-mer (2012, 2015, 2017) et juge sommaire l’analyse des conséquences de certaines mesures sur les entreprises et les services de l’État.
Il pointe aussi l’absence de toute réflexion sur l’octroi de mer, pourtant identifié comme levier possible par la Cour des comptes (2024) et l’Autorité de la concurrence (2019).
Des mesures sur les prix globalement validées
Le Conseil d’État approuve plusieurs adaptations, comme la modification du seuil de revente à perte excluant le coût du transport, ou le renforcement du bouclier qualité-prix (BQP), dispositif de négociation annuelle sur un panier de produits de première nécessité. Ces mesures sont jugées proportionnées au regard des écarts de prix avec la métropole (jusqu’à 40 % pour certaines denrées alimentaires).
Il recommande néanmoins de réévaluer régulièrement l’opportunité du BQP, prévu sans limitation de durée, et de simplifier la participation aux négociations pour éviter des contraintes excessives.
Réserves et suppressions proposées
Plusieurs dispositions sont écartées ou jugées à revoir :
– La création d’un service public de gestion logistique en Martinique, considérée comme relevant du domaine réglementaire, non législatif.
– La possibilité pour le président de l’Observatoire des prix de saisir le préfet en vue d’une régulation tarifaire, jugée redondante et peu utile.
– Une nouvelle procédure d’injonction pour défaut de dépôt des comptes, le Conseil d’État rappelant l’existence de six voies de droit déjà applicables.
– L’extension de l’article L. 420-5 du code de commerce sur les « produits de dégagement » aux produits « substituables », estimée juridiquement incertaine.
Le Conseil d’État valide le principe d’obligations renforcées de transmission de données aux autorités (prix, volumes, remises fournisseurs), à condition de les limiter aux commerces de plus de 400 m² et de préserver leur usage strictement administratif.
Il soutient également la création d’une interdiction des discriminations tarifaires visant les marchés ultramarins au seul motif de leur destination, sous réserve d’en étendre le champ à toutes les collectivités concernées.
Opposition aux mesures préférentielles dans la commande publique
Le projet prévoyait de réserver jusqu’à 20 % de certains marchés publics aux PME locales et d’imposer un plan de sous-traitance aux grandes entreprises. Ces mesures, déjà expérimentées entre 2017 et 2022 sans évaluation concluante (moins de 4 % d’acheteurs y avaient recouru), sont jugées contraires à la Constitution et au droit de l’Union européenne, faute de justifier leur stricte nécessité et leur compatibilité avec le principe de non-discrimination.
Autres dispositions validées
Sont également prévues, sans objections majeures, la création au sein du collège de l’Autorité de la concurrence de sièges réservés à des personnalités qualifiées en matière ultramarine, l’abaissement de certains seuils de contrôle des concentrations commerciales et la possibilité de codifier par ordonnance le livre IX du code de commerce.
En conclusion, le Conseil d’État approuve l’essentiel des mesures de régulation des prix et de transparence commerciale, mais invite le Gouvernement à revoir ou supprimer plusieurs dispositions jugées inefficaces, redondantes ou juridiquement fragiles. Il insiste sur la nécessité d’évaluations solides et d’une réflexion approfondie sur l’octroi de mer pour rendre la lutte contre la vie chère plus efficace et cohérente.



