Les dessous inavouables de la recolonisation de l’Afrique
et les raisons du départ accéléré des banques françaises du continent
Un désengagement bancaire massif : un paradoxe africain
Les banques jouent un rôle crucial dans l’économie d’un pays. Alors pourquoi et comment les banques françaises accélèrent-elles leur départ du continent africain, notamment sous la pression de l’intelligence artificielle ?
Longtemps perçues comme des piliers incontournables du financement en Afrique, les grandes banques françaises amorcent un retrait qui interpelle. Malgré la vitalité démographique du continent et ses perspectives de croissance, elles cèdent leurs filiales ou réduisent drastiquement leurs opérations.
L’intelligence artificielle, catalyseur d’un changement de paradigme
La transformation numérique, menée par l’IA, impose aux banques des investissements massifs en infrastructure, en cybersécurité et en personnalisation de services. À horizon 2025, ces technologies pourraient générer jusqu’à 340 milliards de dollars de revenus supplémentaires dans le secteur bancaire mondial.
Mais cette révolution technologique crée aussi une rupture : les fintechs et néo-banques, plus souples, grignotent les parts de marché, poussant les banques traditionnelles à revoir leurs priorités géographiques.
Les fonctions clés des banques : des piliers en mutation
Avant d’aller plus loin, rappelons quelques fonctions fondamentales des banques :
- Intermédiation financière : collecte de dépôts et octroi de crédits.
- Création de monnaie : génération de monnaie scripturale via le crédit.
- Financement de l’économie : soutien aux investissements et à la consommation.
- Stabilité financière : gestion des risques et de la liquidité.
- Fonctionnement des paiements : fluidification des échanges monétaires.
Ces fonctions deviennent plus complexes à maintenir dans un contexte africain à forte économie informelle et à régulation hétérogène.
Pourquoi les banques françaises quittent-elles l’Afrique ?
Le retrait des banques françaises ne relève pas d’un simple choix opportuniste, mais d’une stratégie mûrie face à plusieurs défis structurels :
- Une rentabilité jugée trop faible
La Société Générale tirait à peine 7 % de son produit net bancaire du continent africain ; pour BNP Paribas, seulement 1 %. Les risques politiques, réglementaires et opérationnels y sont jugés trop élevés pour ces résultats modestes. - Un environnement réglementaire instable et risqué
L’économie informelle rend l’analyse du risque difficile, augmentant les défauts de paiement et les risques de blanchiment d’argent, ce qui expose les banques à des sanctions européennes et américaines. - Des marchés devenus secondaires
Les grands groupes bancaires se recentrent sur des zones jugées « sûres » : Europe, Amérique du Nord, Asie du Sud-Est. Dans ce contexte, l’Afrique devient une variable d’ajustement stratégique.
Une révolution technologique inadaptée aux réalités africaines
La transition numérique des banques suppose une fiabilité des données, des infrastructures robustes et un environnement juridique clair. Des conditions encore loin d’être réunies dans une majorité de pays africains.
Les groupes français préfèrent donc anticiper un avenir dominé par l’IA en concentrant leurs ressources sur les marchés les plus « intelligemment exploitables ».
Des cessions en cascade, un retrait irréversible ?
Le désengagement est désormais systématique :
- Société Générale s’est retirée ou prévoit de le faire du Maroc, du Tchad, du Mozambique, de la Guinée, du Bénin, du Cameroun ou encore de Madagascar.
- BNP Paribas avait déjà réduit considérablement sa présence depuis plusieurs années.
Ce retrait marque la fin d’un cycle de plusieurs décennies d’expansion bancaire française sur le continent africain.
Un vide à combler : les acteurs panafricains à l’offensive
Mais ce départ ouvre aussi des perspectives nouvelles. Des banques régionales et panafricaines, mieux adaptées aux réalités locales, pourraient tirer parti de cette redistribution des cartes :
- Institutions de microfinance
- Banques africaines émergentes
- Nouveaux entrants adossés à des fonds souverains
Leur connaissance du terrain et leur agilité face aux spécificités locales représentent des atouts stratégiques.
- Vers une recolonisation numérique ?
Le véritable danger pour l’Afrique n’est pas tant le départ des banques françaises que la possibilité de devenir dépendante de nouvelles plateformes financières dominées par des puissances étrangères.
L’intelligence artificielle redéfinit déjà les métiers bancaires : près de 200 000 emplois pourraient disparaître d’ici à 2030 dans le secteur. Le rapport de Citigroup à l’automne dernier estimait que plus de la moitié des emplois bancaires sont menacés.
Ce bouleversement annonce une possible recolonisation d’un autre type : numérique, technologique, silencieuse, mais redoutablement efficace.
Une chance historique pour une souveraineté bancaire africaine
Plutôt que de subir ce retrait comme une perte, les pays africains doivent le lire comme une opportunité :
- Créer des institutions financières souveraines
- Définir un modèle bancaire propre, décentralisé, adapté à l’informalité et aux innovations locales
- S’approprier les outils numériques et les adapter aux réalités du continent
C’est à ce prix que l’Afrique évitera d’être le terrain d’une nouvelle domination.
Conclusion : un défi de souveraineté à l’ère de l’IA
Ce départ des banques françaises n’est pas une fin, mais une transformation. Il engage l’Afrique à relever un défi majeur : ne pas subir, mais construire.
Construire une autonomie bancaire, technologique et stratégique à partir des réalités africaines. Car dans un monde où l’intelligence artificielle devient le nerf de la guerre économique, le continent ne peut plus rester simple consommateur : il doit devenir producteur.
« Celui qui deviendra le leader dans le domaine de l’intelligence artificielle sera le maître du monde. »
— Vladimir Poutine, 2017
Jean Marie Nol, économiste et ancien directeur de banque