Les événements des 20-22 décembre 1959 constituent un moment de rupture dans l’histoire politique et sociale de la Martinique. Longtemps analysés comme une explosion de violence urbaine spontanée, ils doivent être replacés dans une séquence historique plus large : celle des limites structurelles de la départementalisation de 1946 et de la montée progressive d’une contestation politique du cadre assimilationniste. Ces émeutes jouent un rôle déterminant dans la politisation du malaise social et dans l’émergence explicite de la revendication autonomiste.
Un contexte socio-économique et politique profondément dégradé
Treize ans après la départementalisation, la société martiniquaise demeure marquée par de fortes inégalités économiques et sociales. Le chômage structurel, la faiblesse des salaires et la précarité urbaine, combinés à la dépendance économique vis-à-vis de la métropole, alimentent un sentiment diffus d’injustice. L’égalité juridique promise par l’intégration départementale ne s’est pas traduite par une égalité réelle des conditions de vie, tandis que persistent des rapports sociaux hérités de l’histoire coloniale.
Le fait générateur : l’étincelle du 20 décembre 1959
Les événements survenus à Fort-de-France trouvent leur origine immédiate dans un incident de circulation survenu le dimanche 20 décembre 1959, place de la Savane. Celui-ci oppose un jeune Martiniquais en scooter à un automobiliste métropolitain, dans un contexte marqué par de fortes tensions sociales et raciales. L’intervention des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) — usage de gaz lacrymogènes et charges policières — est largement perçue comme disproportionnée, jouant un rôle déterminant dans l’embrasement des violences.
De l’émeute urbaine à la requalification politique du malaise
La propagation des affrontements et la répression sévère confèrent aux événements une dimension traumatique durable. Décembre 1959 marque un changement de registre interprétatif : le malaise martiniquais cesse d’être analysé uniquement en termes d’ordre public pour être compris comme le symptôme d’un problème politique structurel.
La structuration de la revendication autonomiste
Dans les années qui suivent, les émeutes de 1959 deviennent un référent fondateur pour les mouvements politiques, syndicaux et intellectuels qui formulent explicitement la revendication d’autonomie. Celle-ci est pensée comme un moyen de reprendre la maîtrise du développement économique et de corriger les déséquilibres sociaux.
Les émeutes de décembre 1959 constituent bien plus qu’un épisode de violence urbaine. Elles représentent un moment fondateur de la conscience politique contemporaine martiniquaise, marquant la fin des illusions assimilationnistes et l’ouverture d’un cycle de revendications centré sur l’autonomie et la justice sociale.
Jean-Paul BLOIS



