L’Union européenne traverse une crise profonde, un affaiblissement économique, une perte d’autonomie politique et des fractures internes. Pourtant, elle reste un acteur financier majeur. Chaque année, plusieurs dizaines de milliards d’euros sont redistribués aux États membres, dont une part conséquente destinée à la France et à ses régions ultrapériphériques. Les fonds FEDER, FSE+, FEADER ou encore le POSEI soutiennent directement les projets de développement économique, les infrastructures, l’agriculture ou encore la formation.
Sans ces transferts, nombre d’investissements structurants dans les Outre-mer – routes, écoles, réseaux d’eau, filières agricoles – n’auraient jamais vu le jour. Mais ces apports financiers masquent mal l’absence de stratégie globale et l’incapacité à protéger l’économie européenne dans la compétition mondiale.
Le poids d’une machine administrative tentaculaire
Ces aides, bien que substantielles, se heurtent à une lourdeur administrative chronique. Les procédures de demande sont longues, opaques, et souvent décourageantes pour les petites communes ou les associations locales. Les cofinancements exigés dépassent les capacités budgétaires des collectivités ultramarines, ce qui conduit à des projets abandonnés ou retardés. À Bruxelles comme à Paris, la superposition des échelons crée une dilution des responsabilités : personne ne décide vite, et chacun se protège derrière les règles européennes. Dans les Outre-mer, cela se traduit par une accumulation de dossiers en attente, une sous-consommation chronique des crédits européens, et un sentiment d’impuissance locale face à une technocratie éloignée. Les tentatives – souvent vaines – des responsables politiques et administratifs locaux ne peuvent pas grand chose contre cet état de fait.
La France, symptôme du mal européen
Sur le continent comme dans ses territoires ultramarins, la France illustre les contradictions européennes. Surendettée et déficitaire, elle dépend des règles budgétaires communes qui limitent sa marge de manœuvre.
Son industrie s’effrite, son commerce extérieur s’enfonce, et ses fleurons industriels sont affaiblis par la concurrence internationale et les normes communautaires. Dans le domaine militaire, la dépendance aux États-Unis reste patente, malgré une volonté affichée d’autonomie stratégique. Cette perte de souveraineté touche à la fois le champ économique, énergétique et diplomatique.
Les Outre-mer : aides massives, dépendance accrue
Les départements et collectivités d’Outre-mer reçoivent une part significative des fonds européens. Les filières agricoles comme la banane et la canne à sucre sont maintenues en vie grâce au POSEI ; les infrastructures sont modernisées grâce aux FEDER ; l’insertion professionnelle s’appuie sur le FSE+.
Mais cette manne entretient une dépendance structurelle : les économies locales restent peu productives et survivent sous perfusion budgétaire.
Par ailleurs, les lourdeurs administratives freinent l’efficacité de ces financements : retards dans les paiements, dossiers bloqués par des normes inadaptées, et impossibilité de déroger aux règlements européens même quand ils contredisent les réalités tropicales.
Une double tutelle paralysante
Dans les Outre-mer, les décisions dépendent à la fois de Paris et de Bruxelles. Paris distribue les fonds, mais doit respecter le cadre européen. Bruxelles fixe les grandes orientations mais reste loin des réalités locales. Cette double tutelle génère une bureaucratie complexe, où les élus locaux peinent à trouver leur place et où les citoyens n’identifient plus de responsables clairs. Le sentiment d’impuissance est renforcé par le fait que les subventions, pourtant massives, ne résolvent pas les problèmes structurels : coût de la vie, chômage, dépendance alimentaire et énergétique.
L’urgence d’une réforme pragmatique
Pour sortir de cette impasse, il faut repenser la manière dont l’Europe agit dans ses périphéries. Les transferts financiers doivent être simplifiés, plus accessibles aux petites collectivités et aux acteurs de terrain, avec des délais raccourcis et des règles adaptées au contexte ultramarin.
Sur le plan économique, l’urgence est d’utiliser ces fonds non pour compenser la dépendance, mais pour la réduire : développer la production locale, la petite agriculture , sécuriser l’énergie, favoriser l’intégration caribéenne et rétablir la souveraineté alimentaire.
La France doit tout mettre en œuvre pour que l’Outre-mer accède à une autonomie normative dans ces domaines vitaux, afin de transformer les aides européennes en levier de développement plutôt qu’en perfusion chronique.
Les retombées financières de l’Union européenne sont indéniables : sans elles, les Outre-mer seraient encore plus fragiles. Mais leur gestion illustre les travers d’une Europe devenue technocratique, lourde et déconnectée des réalités.
La crise actuelle doit servir de point de bascule : si l’Europe veut rester crédible, elle doit prouver qu’elle n’est pas seulement une caisse de redistribution, mais un cadre qui permet à ses États et territoires de bâtir une autonomie économique réelle. Pour la France et ses Outre-mer, la question est simple : rester dans une dépendance assistée, ou transformer les transferts européens en instruments d’émancipation productive.Jean-Paul Blois