Par La Rédaction.
Une dynamique d’ouverture régionale accrue
Depuis une dizaine d’années, la Martinique intensifie sa participation aux grandes instances de coopération régionale de la Caraïbe. Si son adhésion en 2014 à la Communauté caribéenne (CARICOM) en tant que membre associé constitue une étape emblématique, elle ne saurait résumer à elle seule le processus d’intégration régionale engagé. La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), bien que non souveraine, a développé une diplomatie territoriale active, s’inscrivant dans plusieurs organisations internationales ou régionales à géométrie variable, au cœur d’un espace caribéen particulièrement dense en structures de coopération.
Des enceintes multiples pour des objectifs différenciés
La région Caraïbe est l’une des plus intégrées du monde en termes d’organisations régionales, couvrant des domaines variés : économie, environnement, culture, sécurité, odiplomatie, francophonie, etc. Aux côtés de la CARICOM, on retrouve des plateformes telles que l’Association des États de la Caraïbe (AEC), l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO), ou encore le CARIFORUM, interface des pays de la Caraïbe avec l’Union européenne. La Martinique, en tant que région ultrapériphérique de l’Union européenne, membre de la République française, y participe souvent comme membre associé ou par l’intermédiaire de la France.
Elle est ainsi membre associé de l’AEC depuis 2014, de l’OECO depuis 2015, et membre fondateur de l’Association des collectivités territoriales de la Caraïbe (ACTC), aux côtés d’autres territoires français des Amériques. Par ailleurs, elle bénéficie d’une participation indirecte à certaines enceintes via la France, notamment à l’Organisation des États américains (OEA), à la Francophonie ou au CARIFORUM. En revanche, son absence dans des organisations comme l’ALBA ou le SICA traduit les limites institutionnelles d’une entité non souveraine.
Le cadre juridique : la loi Letchimy, ou la diplomatie encadrée
Cette dynamique d’intégration n’aurait pas été possible sans un tournant législatif crucial : la loi du 1er août 2016, communément appelée « loi Letchimy ». Portée à l’époque par le député martiniquais Serge Letchimy, a permis d’élargir les prérogatives des collectivités d’outre-mer en matière de coopération régionale. Inscrite à l’article L. 4433-4-1 du Code général des collectivités territoriales, elle autorise désormais les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution à conclure des conventions avec des États, territoires ou organisations internationales de leur environnement régional, sous réserve de respecter les engagements internationaux de la France.
C’est là toute l’originalité – et la limite – de ce mécanisme. L’action diplomatique des collectivités ultramarines n’est pas souveraine. Elle reste conditionnée à l’accord de l’État français, qui veille à la cohérence de la politique étrangère nationale. Toute adhésion à une organisation régionale ou tout accord de coopération avec un pays voisin doit donc être validé en amont par le gouvernement, via un processus d’autorisation préalable. En d’autres termes, la « loi Letchimy » établit une forme d’alchimie juridique entre décentralisation fonctionnelle et centralisation diplomatique.
Une stratégie régionale à portée géopolitique
En facilitant l’insertion des territoires ultramarins dans leur espace géographique naturel, la loi Letchimy répond à une double logique. D’abord, une logique économique et fonctionnelle : les échanges commerciaux, la gestion des risques climatiques, la santé publique ou encore la mobilité des étudiants ou professionnels appellent une coopération transfrontalière pragmatique. Ensuite, une logique géopolitique : la présence active de la Martinique dans les institutions caribéennes, même à titre d’observateur ou de membre associé, confère à la France un relais diplomatique dans une zone stratégique souvent disputée entre États-Unis, Venezuela, Cuba ou encore Chine.
Entre ouverture et vigilance étatique
Cette intégration régionale, si elle ouvre des perspectives nouvelles, demeure encadrée. La Martinique ne peut s’exprimer librement dans ces instances au nom d’une souveraineté qui ne lui appartient pas. Elle agit toujours dans un cadre républicain, sous la tutelle ou la médiation de l’État.
À travers cette « loi alchimique », la Martinique participe donc à l’architecture caribéenne, sans pour autant remettre en cause le monopole diplomatique de l’État français. Ce subtil équilibre institutionnel – ni tout à fait autonomie, ni simple délégation – reflète une nouvelle forme de présence régionale quoique pour l’instant totalement encadrée.