La loi Duplomb, promulguée en juillet 2025, ambitionne de « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Derrière cet objectif affiché, ses dispositions suscitent de vives inquiétudes dans les territoires ultramarins, notamment aux Antilles, en raison d’un passé marqué par des catastrophes environnementales liées aux pesticides.
Contexte national et mesures controversées
Adoptée définitivement le 8 juillet 2025, la loi Duplomb autorise à titre dérogatoire l’usage de pesticides de la famille des néonicotinoïdes, tels que l’acétamipride et le flupyradifurone, initialement interdits depuis 2018. Elle met également fin à la séparation entre conseil agricole et vente de produits phytopharmaceutiques, ouvrant la porte à des conflits d’intérêts. Enfin, elle facilite la création de mégabassines pour le stockage et le captage d’eau, y compris dans les territoires ultramarins.
La loi est contestée devant le Conseil constitutionnel, saisine à l’appui, avec une décision attendue début août 2025.
Un contexte antillais marqué par le chlordécone
Les Antilles portent encore les stigmates du chlordécone, pesticide massivement utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993, responsable d’une pollution durable des sols et des eaux, et de graves conséquences sanitaires. Ce traumatisme collectif rend toute réintroduction de produits chimiques agricoles particulièrement sensible.
Des conséquences spécifiques pour la Martinique et la Guadeloupe
La réintroduction des néonicotinoïdes est perçue comme une menace directe pour les écosystèmes insulaires fragiles. Ces substances, connues pour leur toxicité sur les abeilles et la biodiversité, exposent également les agriculteurs et les riverains à des risques sanitaires.
La facilitation des projets de mégabassines, parfois imposés aux territoires, soulève d’autres préoccupations. Dans des îles où les ressources en eau sont limitées et disputées, de tels aménagements risquent d’accentuer la tension sur l’approvisionnement et de fragiliser les modes de production agricole traditionnels.
La loi modifie également l’organisation de l’Office français de la biodiversité, en plaçant ses contrôles sous l’autorité directe du préfet et du procureur. Cette centralisation pourrait réduire la capacité des acteurs locaux à surveiller et sanctionner les pratiques à risque, y compris dans des zones protégées.
Une mobilisation citoyenne active
En Guadeloupe et en Martinique, associations environnementales, apiculteurs et petits exploitants agricoles dénoncent un texte qui pourrait fragiliser encore davantage les protections écologiques déjà insuffisantes.
Plus de 1,5 million de citoyens ont signé une pétition nationale demandant l’abrogation de la loi, dont un nombre significatif de signataires ultramarins. Cette mobilisation a ouvert la voie à un débat parlementaire prévu à l’automne 2025.
Des impacts potentiels sur la santé et l’environnement
Les effets possibles sur la santé publique sont préoccupants. L’exposition aux néonicotinoïdes, substances neurotoxiques et perturbateurs endocriniens, pourrait aggraver des pathologies chroniques déjà surreprésentées aux Antilles.
Sur le plan environnemental, le cumul de pesticides et d’aménagements hydrauliques massifs pourrait accélérer la dégradation de sols et de ressources déjà vulnérables. La durabilité de l’agriculture antillaise se trouve au cœur des débats.
Quelles perspectives ?
La décision du Conseil constitutionnel sera déterminante. Les élus ultramarins, en particulier ceux issus des groupes écologistes et socialistes, plaident pour une prise en compte spécifique des réalités locales dans l’application de la loi.
À l’automne, le débat parlementaire offrira une tribune aux représentants de la Guadeloupe et de la Martinique. Des propositions d’amendement ou d’abrogation partielle pourraient émerger, afin d’adapter le dispositif aux enjeux ultramarins.
Une vigilance nécessaire
La loi Duplomb marque un tournant dans la politique agricole française. Aux Antilles, ce tournant prend une résonance particulière : mémoire du chlordécone, fragilité écologique, ressources limitées et méfiance envers les décisions centralisées.
La mobilisation citoyenne et la vigilance politique seront décisives pour s’assurer que les mesures appliquées ne reproduisent pas les erreurs du passé et garantissent la santé et l’environnement des générations futures.