Face à l’ampleur de la crise économique et sociale que traversent les Antilles, certains affirment qu’il suffirait de « changer les élus » pour transformer la Martinique.
Les chiffres contredisent cette illusion : 12,5 % de chômage (31 % chez les jeunes), 27 % de pauvreté, une population en déclin de 0,7 % par an et un exode massif de la jeunesse diplômée.
À ces données s’ajoute une dépendance structurelle aux transferts sociaux (57 % des habitants perçoivent une aide de la CAF) et une économie qui ne couvre pas 10 % de ses importations par ses exportations. Peut-on sérieusement penser qu’une simple alternance électorale suffirait à inverser ce destin ?
L’impasse de la personnalisation
Il est tentant d’accuser les élus locaux d’incompétence ou de clientélisme. Les critiques portent sur des projets inachevés, un prétendu gaspillage des fonds publics, l’absence de stratégie de long terme pour certains.
Mais réduire la crise martiniquaise à un problème « d’hommes » revient à ignorer le poids des structures.
L’Article 73 de la Constitution maintient une tutelle étroite de Paris sur la fiscalité, l’emploi, l’agriculture, l’éducation ou la santé. Dans ce carcan, même des dirigeants les plus vertueux se heurteraient à un plafond de verre.
L’illusion d’une autonomie sans gouvernance
À l’inverse, croire qu’une réforme institutionnelle suffirait — par exemple un passage à l’Article 74 ou un 73 amélioré — relève d’un autre mirage. Accorder davantage de leviers à des institutions sans réforme politique et sans vision claire reviendrait à déplacer les blocages sans les résoudre. L’autonomie sans responsabilité peut devenir une coquille vide, voire aggraver les fragilités locales.
La double clé du redressement
La vérité est ailleurs : ni les institutions seules, ni les élus seuls ne suffiront.
La Martinique ne pourra rompre avec la dépendance et le déclin que si elle conjugue les deux ruptures.
La première est politique : une nouvelle façon plus dynamique d’agir de la part des des élus doit émerger.Il faut que la gouvernance soit visionnaire et libérée des réflexes du passé.
La seconde est institutionnelle : un cadre plus souple doit permettre de réformer l’octroi de mer, de soutenir la production locale, d’inventer une fiscalité adaptée et de réorienter l’économie vers des secteurs porteurs — agriculture durable, énergies renouvelables, économie numérique, tourisme responsable. Un pouvoir normatif subsidiaire, local est indispensable.
Et cette révolution profonde doit se faire en symbiose avec les forces économiques et sociales, sans mettre de côté la société civile trop absente jusqu’alors des débats.
Une urgence historique
L’enjeu n’est pas seulement de corriger des statistiques : il s’agit d’empêcher que la Martinique ne devienne un territoire fantôme, vieilli et dépendant, vidé de sa jeunesse et réduit à survivre sous perfusion. Seule la combinaison d’un changement de l’action politique profond et d’une réforme institutionnelle audacieuse permettra d’éviter ce naufrage. À défaut, l’île continuera de s’enliser dans une double impasse : celle d’une gouvernance sans moyens et celle d’institutions sans vision.