À intervalles réguliers, la tentation réapparaît dans le débat public : et si la France se « débarrassait » de la Martinique, de la Guadeloupe ou de la Guyane, au nom de la charge financière qu’elles représenteraient ? Cette idée, réductrice et dangereuse, repose sur une méconnaissance profonde de la réalité de ces territoires. Leur importance excède de loin la seule équation budgétaire : elle engage des enjeux militaires, économiques, culturels et écologiques qui placent ces départements et régions d’outre-mer au cœur de l’avenir français et européen.
Des bastions géopolitiques
Ancrées dans la Caraïbe, la Martinique et la Guadeloupe permettent à la France d’être une puissance régionale dans un espace convoité, au carrefour des routes maritimes et des rivalités stratégiques. La Guyane, elle, ouvre sur l’Amérique du Sud, avec une frontière terrestre sur le Brésil et le Suriname.
Ces territoires sont aussi des piliers militaires et scientifiques : près de 3 000 militaires assurent la sécurité de la zone Antilles-Guyane, notamment contre le narcotrafic. À Kourou, le Centre spatial guyanais, infrastructure européenne clé, garantit depuis plus d’un demi-siècle l’autonomie d’accès à l’espace. Peut-on sérieusement parler de « largage » quand la souveraineté française s’y joue aussi directement ?
Des économies plus stratégiques qu’on ne le croit
Certes, les économies locales sont fragiles, dépendantes des importations et frappées par la vie chère. Mais elles n’en demeurent pas moins vitales. En Martinique et en Guadeloupe, l’agro-industrie (banane, canne, rhum) fait vivre des dizaines de milliers de familles, et le tourisme irrigue l’économie régionale. En Guyane, le spatial représente à lui seul près d’un sixième du PIB, tandis que l’or et la biodiversité complètent ce potentiel. Ces territoires, loin d’être des poids morts, sont des points d’ancrage de la France dans les Amériques, face aux ambitions américaines, brésiliennes ou chinoises.
Une mémoire et une culture
Ces sociétés portent l’empreinte de l’esclavage et de la colonisation, mais elles ont transformé cette histoire en un patrimoine intellectuel et artistique qui dépasse largement leurs rivages. Aimé Césaire, Édouard Glissant, Léon-Gontran Damas : leurs voix résonnent dans le monde entier et rappellent que l’universalisme français s’est aussi construit à Fort-de-France, Cayenne ou Pointe-à-Pitre. Oublier cette dimension, ce serait renier une part de la réalité française
Des réservoirs écologiques irremplaçables
La Guyane abrite une forêt amazonienne intacte sur 95 % de son territoire : un trésor de biodiversité, essentiel dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Les Antilles, de leur côté, constituent des laboratoires d’étude pour la résilience des récifs coralliens. Quand la France plaide pour l’environnement sur la scène internationale, c’est aussi grâce à ces territoires.
Une refondation politique nécessaire
Reste la question institutionnelle. Entre l’article 73 de la Constitution, qui maintient l’identité législative, et l’article 74, qui ouvre la voie à l’autonomie, les débats demeurent vifs. Les référendums organisés en 2003 et 2010 ont rejeté l’autonomie en Martinique et en Guadeloupe, mais l’aspiration à une meilleure maîtrise du destin local reste entière. Les précédents calédoniens l’ont montré : la stabilité passe par la parole donnée, par la négociation, par une coconstruction respectueuse des peuples concernés.
Ne pas fuir ses responsabilités
Dans un monde en recomposition, parler de « largage » n’est pas seulement une faute politique : c’est une erreur stratégique. La France a besoin de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, autant qu’elles ont besoin d’elle.
- Le rôle des élus locaux est désormais clair : rappeler à Paris que l’avenir ne peut se bâtir ni dans l’oubli, ni dans le mépris, mais dans la responsabilité partagée et la reconnaissance des potentialités.
La question n’est pas de savoir combien coûtent ces territoires, mais ce que coûterait leur perte — pour la France, pour l’Europe, pour la France tout entière.
Gérard Dorwling-Carter



