Alors que la Corse s’apprête à franchir une étape constitutionnelle décisive vers un statut d’autonomie, d’autres territoires d’outre-mer – à commencer par la Nouvelle-Calédonie et Mayotte – sont sur le point d’expérimenter des régimes différenciés. Mais la Martinique, malgré une histoire politique marquée par des revendications autonomistes, est aujourd’hui à l’arrêt institutionnel. Le contraste interroge.
Les promesses diversifiées de la République
Depuis les réformes constitutionnelles de 2003 et l’élargissement de l’article 72, la France assume une différenciation croissante entre ses territoires ultramarins : autonomie organique pour les collectivités de l’article 74, pouvoirs normatifs encadrés pour celles de l’article 73, et statut sui generis pour la Nouvelle-Calédonie ou Mayotte.
L’unité républicaine s’accommode d’une diversité statutaire croissante. La Corse, en voie de reconnaissance comme « communauté à statut particulier », incarne cette dynamique, tout comme Mayotte, qui amorce une refondation institutionnelle. En Martinique, en revanche, le cadre semble figé.
Martinique : les promesses oubliées de 2010
La réforme de 2015, qui a abouti à la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), résultait d’un vote référendaire de janvier 2010. Mais contrairement aux espoirs portés alors par des élus, elle ne se serait pas accompagnée d’une réelle montée en compétence normative. La Martinique demeure régie par l’article 73 de la Constitution, qui impose l’identité législative, sauf exception. Le constat est fait de demandes d’habilitation pour adapter la loi nationale aux réalités locales – rares, longues, et surtout aléatoires, à en croire ceux qui les mettent en œuvre…

Ce serait l’absence de pouvoir réglementaire autonome, de responsabilité fiscale propre ou de transfert de compétences significatif qui réduirait de fait la capacité de la CTM à répondre aux urgences sociales, environnementales et économiques.
À l’inverse, la Polynésie française ou Saint-Martin, régies par l’article 74, disposent d’outils beaucoup plus souples pour légiférer dans leurs domaines de compétence.
Un blocage politique plus que juridique
Pourquoi cette inertie institutionnelle en Martinique ? Les raisons sont multiples : clivages politiques internes, faible mobilisation citoyenne sur ces questions, mais aussi absence de volonté politique de l’État, qui semble réserver la négociation différenciée aux territoires où la pression sociale ou géopolitique est forte (Mayotte, Corse, Nouvelle-Calédonie).
En réalité, la Martinique paie le prix de son « entre-deux » statutaire : trop éloignée du droit commun métropolitain pour bénéficier d’une pleine égalité réelle, mais trop proche de la France continentale pour que l’État accepte une autonomie de plein exercice.

Le moment d’un sursaut ?
L’actuelle réforme constitutionnelle sur la Corse pourrait toutefois rouvrir les débats. L’introduction d’un pouvoir législatif local (par voie organique) à l’article 72 serait transposable aux DROM, si une volonté politique locale et nationale s’affirmait. Une autonomie à la carte, pensée selon les besoins et les projets de chaque territoire, est devenu constitutionnellement envisageable.
Encore faut-il que la Martinique se saisisse de cette brèche : relancer un débat collectif sur ses priorités, clarifier ses demandes, porter une vision politique commune, convoquer une conférence statutaire ou doter le territoire d’un conseil stratégique insulaire, à l’image de la Corse, afin de porter une parole unifiée face à Paris.
À l’heure où la République se redéfinit aux marges, la Martinique risque l’immobilisme institutionnel. Pourtant, les autres territoires montrent que des évolutions sont possibles — à condition de les vouloir. Il ne s’agit pas d’imiter la Corse ou la Nouvelle-Calédonie, mais de construire un chemin martiniquais de responsabilité, d’initiative et d’efficacité publique.

Pour une autonomie clarifiée, maîtrisée, choisie
Pour convaincre les Martiniquais de la nécessité d’une certaine autonomie, il faut d’abord clarifier ce que cela signifie réellement : non pas une rupture avec la République ou une indépendance déguisée, mais un transfert maîtrisé de compétences permettant une gestion locale plus efficace et adaptée aux réalités du territoire. Les défaillances de la centralisation, visibles dans des domaines comme la santé, l’eau ou l’agriculture, rendent ce débat légitime.
Cependant, l’adhésion populaire ne pourra être obtenue que par un processus démocratique, transparent et participatif. Il s’agit de construire un projet collectif, non partisan, avec une campagne de pédagogie, des débats dans les quartiers et des outils numériques accessibles. Au point où en sont les esprits sur la question , il faut aussi redonner confiance: parler de budget, de ressources pour mettre en œuvre la prise de responsabilité.

La confiance dans les élites locales devra être restaurée par l’éthique, la transparence et la participation citoyenne. L’autonomie ne peut être qu’un levier au service d’un projet social et écologique ambitieux, et non un objectif institutionnel abstrait.
Enfin, la transition vers un nouveau statut doit être progressive, clairement expliquée et validée démocratiquement. Le véritable enjeu est de redonner aux Martiniquais la capacité de penser et de décider – ensemble- leur avenir. Toutefois, il semble bien qu’aucun des partis prônant la responsabilité locale ne soit capable de mettre en œuvre un tel programme.
Gérard Dorwling-Carter



