Argumentaire développé par Serge Romana à l’occasion de son séjour en Martinique, où il est venu à l’occasion de deux conférences expliquer le projet
Pourquoi un mémorial au Trocadéro en mémoire de l’affranchissement des esclaves en 1848
L’abolition de l’esclavage en 1848 constitue l’un des actes les plus puissants, les plus fondateurs et les plus transformatifs de l’histoire républicaine française. En un seul décret, la France a fait basculer près de 250 000 femmes, hommes et enfants d’un statut de non-personnes vers la citoyenneté. Pourtant, aucun lieu national n’est dédié à celles et ceux dont la liberté fut proclamée. Serge Romana souligne depuis plus de deux décennies que la France a honoré les abolitionnistes, mais elle n’a jamais honoré les affranchis eux-mêmes.
Cette lacune est d’autant plus significative que l’abolition, loin d’être un cadeau, est le résultat d’une longue histoire de résistances. Pourtant, dans le récit national, la figure du libéré n’a jamais trouvé sa place centrale. Le mémorial vise à remettre au premier plan celles et ceux dont la vie a été transformée, en donnant visibilité à leurs noms, leurs familles, leurs histoires : la dignité retrouvée de centaines de milliers de citoyens.
Serge Romana insiste sur un fait souvent méconnu : 1848 marque la refondation des filiations ultramarines. L’esclavage a détruit les lignages, effacé les patronymes, brisé les familles. Le décret créa un état civil nouveau, attribuant à chaque affranchi un nom, souvent le premier acte d’existence écrite de sa lignée. Inscrire ces noms dans la pierre offrirait une réparation symbolique majeure.
Choisir le Trocadéro est un acte politique puissant. Ce lieu, associé à la Déclaration universelle de 1948, affirme que la mémoire de l’esclavage relève de l’histoire universelle des droits humains. Il inscrit l’histoire ultramarine dans l’espace central de la République : l’histoire des affranchis appartient au cœur de la mémoire nationale.
Romana rappelle que l’abolition est un moment rare où la République répare. Le mémorial permettrait d’expliquer qu’il s’agit d’une conquête collective, fruit de luttes, de mobilisations, d’une transformation morale de la société française. Il deviendrait un repère civique, un espace pédagogique.
Contrairement aux craintes, la mémoire de l’affranchissement n’est pas conflictuelle : c’est une mémoire apaisée, une mémoire qui rassemble. Elle célèbre la renaissance, la résilience, la reconstruction des sociétés post-esclavagistes : il s’agit d’une mémoire pacificatrice.
Le mémorial n’est pas un monument figé. Il doit être un lieu vivant accueillant expositions, classes, ateliers généalogiques, cérémonies officielles. Il montrerait que 1848 n’est pas seulement une date, mais un processus long d’humanisation et de reconstruction.
En définitive, le mémorial répond à une nécessité historique, une nécessité sociale, et une nécessité républicaine. Il affirmerait que « nous sommes les enfants de 1848 », et que la France reconnaît pleinement cette part de son histoire.
Gérard Dorwling-Carter



