Je suis Juliette Labonne Hollant, née à la Martinique. J’écris pour partager ma vie aux États-Unis et expliquer comment et pourquoi j’ai quitté un si beau pays, la « perle des Antilles », pour m’aventurer en Amérique.
Bien que j’aie grandi pendant la Seconde Guerre mondiale, je garde en mémoire les bons moments vécus avec mes frères et sœurs dans mon île natale. Après avoir réussi mes deux parties du baccalauréat, j’ai commencé à enseigner au Lamentin comme institutrice. J’y ai travaillé trois ans. Entre-temps, un drame a frappé ma famille : mon frère, alors en fin d’études d’ingénieur à Paris, est mort accidentellement à 24 ans. Il était l’étoile de la famille. Déjà installés à Brooklyn, mes frère et sœur aînés, bouleversés par cette tragédie, ont demandé à ma mère et moi de les rejoindre à New York. J’ai alors pris la décision de quitter la Martinique pour un séjour aux États-Unis qui deviendra finalement mon pays d’adoption.
Mon arrivée aux États-Unis
En 1960, à 24 ans, je débarque d’un avion Pan Am. Après le passage à la douane, c’est avec une joie immense que nous retrouvons mon frère et ma sœur qui nous accueillent avec enthousiasme. Ce qui me frappe le plus, ce sont les gratte-ciel vertigineux et la démarche rapide des Américains. Tout le monde semble pressé. Il est huit heures du soir, c’est l’été, la chaleur est accablante et les journées paraissent interminables.
Nous arrivons à Brooklyn, chez mon frère et ma belle-sœur, dans une maison de trois étages en « brownstone », où habite également ma sœur. Je me dis : « Ils sont bien logés ». Nous sommes alors sous la présidence de John F. Kennedy, qui sera assassiné trois ans plus tard, le 22 novembre 1963 à Dallas. L’Amérique est en deuil et le malaise est immense. Lyndon B. Johnson lui succède comme 36ᵉ président.
Ma rencontre avec Gilbert Hollant
Dès le lendemain de mon arrivée à Brooklyn, je rencontre Gilbert, originaire d’Haïti, qui avait fui la dictature de François Duvalier, dit « Papa Doc ». C’est le début d’une romance entre une jeune immigrée martiniquaise de 24 ans et un exilé haïtien. Mais s’adapter à la société américaine n’est pas simple : il faut apprendre à parler l’anglais (que j’avais étudié six ans au lycée), marcher d’un pas rapide, adopter un rythme de vie étranger à celui de mon île.
Je m’inscris à un cours de secrétariat, première étape vers une stabilité professionnelle. L’année suivante, je trouve un emploi de secrétaire exécutive auprès du vice-président d’une entreprise installée dans l’une des tours du World Trade Center, tristement détruites lors des attentats du 11 septembre 2001. Je me rappelle encore mon premier jour de travail en hiver : je voyais tomber pour la première fois la neige, magnifique mais accompagnée d’un froid glacial. Je portais un manteau noir, un chapeau, des gants et des bottes qui me faisaient mal aux pieds.
Après la destruction des tours, le traumatisme fut immense. Des centaines de personnes se sont jetées dans le vide. Cette tragédie reste gravée dans ma mémoire.
Les années passant, j’ai eu le privilège d’enseigner le français au lycée Kennedy, dans l’est de Manhattan, après avoir fait venir mes diplômes d’enseignante de Fort-de-France.
Ma vie conjugale
Gilbert et moi nous marions. Deux ans plus tard, nous avons un fils, qui est aujourd’hui avocat. Peu après, je retourne en Martinique avec ma mère et mon bébé de 18 mois. À mon retour à New York, j’ai une fille, qui deviendra architecte.
Avec le temps, je parle anglais plus couramment et les difficultés du début s’estompent. Ce qui m’impressionne le plus, c’est le métro aérien, ses wagons couverts de graffitis, surchargés et assourdissants.
Hélas, la vie n’est pas faite que de joies. Gilbert tombe malade et meurt d’un cancer. Malgré ce deuil, je continue à travailler jusqu’à ma retraite. La vie, avec ses hauts et ses bas, m’a tout de même épargnée par rapport à d’autres.
Aujourd’hui, je reste préoccupée par la situation politique et sociale des États-Unis. Le coût de la vie est insupportable, les arrestations d’immigrants se multiplient, les militaires sont déployés dans les villes sans raison claire, des employés qualifiés perdent leur emploi, et le racisme est révoltant. Face à cette irresponsabilité et à cette dérive autoritaire, nous prions pour un avenir meilleur.
Juliette Labonne Hollant
14 août 2025