Professeur C. Justin Robinson –
Le mardi 16 décembre au soir, les citoyens d’Antigua-et-Barbuda et de la Dominique ont reçu une mauvaise nouvelle.
L’administration Trump avait annoncé un élargissement du décret migratoire, ajoutant Antigua-et-Barbuda et la Dominique parmi les pays concernés. Pour la plupart d’entre nous, il ne s’agit pas d’une abstraction : c’est la tante à Brooklyn que nous visitons chaque été, le mariage du cousin à Miami au printemps prochain, les études supérieures, les entretiens d’embauche, les réunions de famille qui tissent des liens entre la vie caribéenne et la vie américaine. Pendant trente ans, ce lien ne nécessitait aucune conscience politique particulière. On obtenait son visa, on prenait son avion, on voyageait entre les deux mondes. Les États-Unis n’étaient pas un enjeu de politique étrangère ; c’était simplement là où vivait la famille, là où naissait la culture qui a façonné notre musique et nos rêves. Et maintenant, soudain, tout se complique et beaucoup de Caribéens sont démunis face à ce constat.
J’y pense depuis une conversation avec une de mes étudiantes de master il y a quelques semaines. Nous discutions du renforcement militaire américain dans les Caraïbes, du porte-avions USS Gerald R. Ford stationné au large des côtes vénézuéliennes, des plus de quinze mille soldats américains déployés et des plus de quatre-vingts personnes tuées lors de frappes contre des bateaux que les Américains accusaient de transporter de la drogue. Elle a posé une question qui semblait des plus naïves : « Mais qu’a fait le Venezuela aux États-Unis ? »
Sa confusion est en elle-même l’histoire d’une génération élevée dans la paix et profondément ancrée dans la culture américaine.
Pour ceux d’entre nous qui ont atteint l’âge adulte pendant la Guerre froide, les renforcements militaires ne nécessitaient aucune explication fondée sur des griefs bilatéraux. Les grandes puissances projettent leur force car la géographie est déterminante et les sphères d’influence doivent être maintenues. La Grenade n’a « rien fait » aux États-Unis en 1983.
Pourtant, des parachutistes américains ont bien atterri à Point Salines. Mais mon étudiante, comme la plupart des jeunes de sa génération au sein de la CARICOM, n’a aucun souvenir précis de cette époque. Elle est née dans des Caraïbes devenues, presque sans que personne ne s’en aperçoive, une zone de paix, non pas par aspiration diplomatique, mais par réalité vécue. Pendant trente ans, les grandes puissances nous ont largement laissés tranquilles. Les États-Unis sont restés un élément essentiel de la vie caribéenne grâce aux liens familiaux, aux transferts de fonds et à la culture, mais sans présence militaire. La présence russe, limitée, s’est retirée et la Chine est arrivée avec des prêts pour les infrastructures, et non avec des navires de guerre. Cette génération n’a pas le cadre de référence dont disposaient leurs grands-parents pour comprendre les motivations des superpuissances.
Il y a une chose que Washington et les autres grandes puissances peinent systématiquement à comprendre : l’antimilitarisme instinctif et viscéral des Caraïbes. Il ne s’agit pas d’un pacifisme idéologique ; c’est simplement que la guerre ne fait pas partie de notre réalité. Les pays de la CARICOM n’ont pas d’armées viables, nos forces de défense sont minuscules, celles d’Antigua pourraient tenir dans un petit auditorium. Pour les Caribéens, la guerre est un phénomène lointain, qui se produit dans des États faillis, où la politique s’est effondrée de façon catastrophique. Ce n’est pas quelque chose que nous faisons, et l’idée même d’un conflit militaire comme instrument politique nous paraît étrangère. Lorsque les responsables américains parlent d’« options militaires » et de « toutes les options sont sur la table », lorsque des porte-avions apparaissent à l’horizon, ils ne réalisent peut-être pas à quel point ces propos sonnent faux aux oreilles caribéennes. Nous sommes non militaires parce que c’est ce qui nous définit, aussi sûrement que le cricket et le carnaval.
Ce contexte est essentiel pour comprendre les choix impossibles auxquels sont confrontés les dirigeants caribéens. Ces choix peuvent paraître, aux yeux des observateurs extérieurs, comme de l’indécision, de la faiblesse, voire de l’obstination, mais il s’agit en réalité des calculs précis qu’exige la survie d’un petit État. Prenons l’exemple suivant : lorsque le Premier ministre de Trinité-et-Tobago a autorisé les forces américaines à accéder à son territoire, le président vénézuélien Maduro a qualifié cette décision d’acte de guerre. Lorsqu’Antigua-et-Barbuda a refusé la demande américaine
d’accueillir une installation radar militaire, le pays figure désormais sur une liste noire, contrairement à la Grenade qui examine une demande similaire. Coopérer avec les Américains, c’est s’exposer aux menaces vénézuéliennes ; refuser, c’est risquer le mécontentement des États-Unis. Accepter les investissements chinois dans les infrastructures, c’est s’attirer la méfiance de Washington ; les refuser, c’est perdre les fonds de développement dont la population a désespérément besoin.
Il n’y a pas de « bonne réponse » et aucune solution miracle qui permette d’éviter tous les coûts. Chaque choix a des conséquences, et ces conséquences pèsent non pas sur des diplomates éloignés, mais sur les citoyens ordinaires : demandes de visa, relations commerciales, coût des biens, opportunités créées ou perdues. C’est pourquoi les citoyens caribéens doivent comprendre les enjeux auxquels leurs dirigeants sont confrontés. Il est facile d’exiger des éclaircissements, de prendre parti, d’affirmer sa position, de rester ferme, mais les petits États n’ont pas le luxe des grands gestes. Notre influence est limitée, nos économies sont vulnérables, notre population tient dans une seule ville américaine. Ce qui peut paraître ambigu est souvent de la sagesse ; ce qui peut sembler de l’hésitation est souvent la préservation de relations qui, une fois rompues, sont difficiles à reconstruire.
La crise est bien réelle. Les États-Unis ont déployé leur plus important contingent militaire dans l’hémisphère occidental depuis la crise des missiles de Cuba. Un blocus des exportations de pétrole vénézuéliennes a été ordonné. Le Venezuela s’est tourné vers la Chine, la Russie et l’Iran pour obtenir du soutien. Les Caraïbes se retrouvent dans une situation qu’elles ont toujours préféré éviter : entre deux grandes puissances en conflit. La réponse de la CARICOM a été l’improvisation, et non la coordination, chaque nation calculant ses intérêts au fur et à mesure. La région doit se recentrer et s’adapter rapidement à la réalité d’un bouleversement mondial qui exige une diplomatie agile et sophistiquée, comme nous n’en avons pas eu besoin depuis une génération.
Ma génération l’a compris. Nous avons vu des carrières brisées et des familles déchirées par la politique de la Guerre froide. Nous savions que maintenir des relations avec les grandes puissances exigeait une attention constante, une grande habileté diplomatique et parfois des compromis difficiles. Ce n’étaient pas des raisons de nourrir du ressentiment, mais simplement les réalités d’un monde où le pouvoir est inégalement réparti et où la géographie compte. La zone de paix des Caraïbes n’a jamais été acquise. Elle était un cadeau du hasard, une trêve qui a duré une génération. Cette trêve touche à sa fin et ce qui la remplacera dépendra de l’habileté, de l’habileté politique et diplomatique que les petits États doivent déployer pour survivre entre les géants.
J’appelle ces compétences des pas de danse caribéens : la capacité à garder l’équilibre malgré les mouvements du sol, à se déplacer avec grâce entre partenaires sans perdre pied, à préserver les relations lorsque le tempo de la musique change. Ce ne sont pas des compétences de résistance ou d’antagonisme, mais des compétences de survie et de dignité. Elles exigent de comprendre les tensions entre le maintien de liens profonds avec les États-Unis – des liens géographiques, familiaux, culturels et fondés sur des valeurs partagées – et la préservation de notre souveraineté, notre droit de tracer notre propre voie. Les nations puissantes agiront dans
leur intérêt. Notre rôle n’est pas de nous en offusquer, mais de gérer cette situation avec sagesse, en préservant ce qui compte le plus : nos relations, nos économies et notre marge de manœuvre. Une génération élevée dans la paix, ancrée dans la vie américaine et instinctivement méfiante envers la logique militaire, apprend très vite les codes d’un monde qu’elle n’a pas choisi, mais dans lequel elle doit désormais composer.
La musique a repris ! Mon élève a posé une question simple. La réponse, en réalité, est tout sauf simple. Et c’est la leçon que sa génération, et nous tous, devons désormais retenir.



