Le masque avec votre visage imprimé est à portée de clic.
Je me suis récemment acheté un nouveau visage. Ça m’a coûté 12,95 dollars [un peu moins de 11 euros], plus 3,99 dollars [3,40 euros] de frais de port. Bon, OK, techniquement parlant, ce n’était pas vraiment un nouveau visage, mais c’était presque aussi flippant: c’était un masque avec une photo de mon visage imprimée dessus.
L’obsession MOYOF
Tout est de la faute du réalisateur Christopher Miller. Il y a quelques mois, il a tweeté une photo de sa tentative de fabriquer un masque couvrant le bas de son visage avec une photo… du bas de son visage, et je n’ai pu trouver la paix depuis.
«Je me suis fait un masque avec une photo de mon visage imprimée sur le coton et je dois dire que le résultat est… aussi dérangeant que ce à quoi je m’attendais.»
C’est devenu une véritable obsession. C’était à la fois totalement stupide et complètement génial. J’ai essayé de penser à autre chose, mais… je n’avais aucune envie de penser à autre chose. C’était hilarant, c’était moche. Son côté hilarant répondait à son côté moche, pour autant que l’on puisse parler de répondre au sujet d’un truc dont la bouche ne bouge pas. Depuis la blague de Miller, on a vu apparaître d’autres variantes de ce que j’ai décidé d’appeler MOYOF (Mask Of Your Own Face, «masque de votre propre visage»): un masque de la bouche de Kerry Washington, le masque de Liz Lemon dans l’épisode spécial de 30 Rock, ou encore un autre type sur Twitter, qui s’y est aussi essayé. Cela n’a, bien sûr, fait qu’accroître ma curiosité. Je suis devenue Kevin Garnett dans Uncut Gems et le masque selfie était mon opale. Il fallait que j’en sache plus. Il fallait que je comprenne. Il fallait (parce qu’on ne peut lutter contre son propre destin) que je me fasse mon propre MOYOF. Voici donc le récit de cette quête.
J’ai contacté un représentant de Miller, qui a refusé de me dire où il avait fait faire son masque (ou alors, il lui a dit oui, mais comme il portait son masque, l’assistant n’a pas vu ses lèvres bouger et ça lui a échappé… Moi, je pense que c’est possible). Heureusement, une simple recherche en ligne m’a permis de découvrir plein de sites d’impressions à la demande sans parler de tous ceux qui se sont lancés dans ce type de commerce sur le site Etsy. Je me suis empressée d’aller parler avec ces entrepreneurs au sujet de leur arrivée sur ce marché naissant.
Bunny Giuliani, une habitante de Pittsburgh, m’a dit qu’elle était au départ contre l’obligation de porter des masques, mais pas pour des raisons politiques. C’était plutôt qu’elle trouvait ça déprimant. «Dès qu’on entre dans un magasin, explique-t-elle, on voit que les gens ne se regardent plus. Tout le monde porte un masque, ça a un côté triste. À un moment, je me suis dit “Bon sang, je ne supporte même plus d’aller à l’épicerie.”»
C’est ce qui l’a poussée à tenter d’insuffler un peu de joie dans ce masque obligatoire. «J’ai commencé à prendre des photos d’amis et de certains membres de ma famille pour les imprimer sur des masques et je les ai portés au magasin. Je pouvais ainsi porter la barbe de mon père, des trucs comme ça. Ça a eu un succès énorme.» Avant le coronavirus, la boutique Etsy de Giuliani était spécialisée dans les cadeaux imprimés personnalisés, comme des tapis de souris ou des sacs à vin à logos. Lorsque le virus est arrivé, les ventes ont ralenti, ce qui fait que se tourner vers les masques a été une bonne solution pour compenser les pertes. Elle en a vendu des milliers.
En plus des MOYOF, Bunny Giuliani vend beaucoup de masques représentant des bouches et nez anonymes. Enfin, «anonymes»… pas pour tout le monde. Il s’agit en fait des bouches et nez de ses ami·es et de sa famille. «J’ai un ami qui fume et porte la barbe, raconte-t-elle. Je lui ai dit “Viens, on va faire des photos de toi, ça va rendre super bien en masque.” Les gens adorent ça.» Un autre de ses masques, qui représente le visage du petit ami de sa fille, est devenu viral sur TikTok. L’attention et le succès ont fait que sa famille et ses ami·es s’intéressent aujourd’hui plus que jamais à son entreprise. «On s’implique tous dans la fabrication des masques et on essaie de voir quel est le visage qui se vend le mieux.» Bunny Giuliani pense que sa meilleure vente est le masque avec le visage de sa grande fille de 26 ans. Elle pense que c’est dû à ses belles dents blanches. Cela ne dérange pas Bunny Giuliani le moins du monde. «Au moins, ça rembourse l’appareil qu’on lui a fait porter.»
La boutique Etsy de Daniel Cozzolino, habitant de Long Island, s’est aussi lancée à fond dans les MOYOF. Avant cela, il vendait principalement des T-shirts, mais lorsque son père lui a lancé l’idée de faire un masque représentant le bas de son visage, il s’est dit que c’était tout à fait dans ses cordes. «Le premier masque n’était pas vraiment une réussite. Il était trop grand, m’explique-t-il. Le nez et la bouche s’étendaient d’une oreille à l’autre.» Il a donc rapetissé le visage de son père jusqu’à ce que la taille soit bonne. «C’est parfait. Comme il porte aussi des lunettes, elles couvrent le haut de son masque et on dirait qu’il ne porte rien du tout. C’est un peu flippant, en fait!» Depuis Cozzolino a ajouté les masques personnalisés aux autres offres disponibles sur sa boutique Etsy.
Des techniques de fabrication variées
Les techniques de fabrication diffèrent en fonction des personnes qui les vendent. Parijat Devarshy vend non seulement des masques, mais aussi des tours de cou, ces sortes de bandeaux que l’on se met autour du cou et que l’on peut ensuite remonter sur la bouche et le nez. Si vous commandez un masque ou un tour de cou avec photo sur sa boutique Etsy, il vous sera demandé d’envoyer une photo de face du modèle, mais aussi des photos de profil et de l’arrière de la tête. «Ensuite, nous mettons toutes les photos dans Photoshop et nous les combinons pour créer une image cylindrique de la tête», explique Devarshy. D’après lui, cela permet d’avoir un produit qui rend bien depuis n’importe quel angle et pas seulement de face.
Mais là où Devarshy cherche le réalisme, d’autres optent pour l’humour. «Je garde la couture blanche en haut, dit Giuliani à propos de ses masques. Il y en a qui ne le font pas, mais moi oui, parce que… ce sont des masques. Je n’essaie pas de cacher que c’est un masque. C’est ça qui est drôle.»
Jouer la carte de l’humour est sans doute une bonne idée, car c’est souvent ce que recherchent les personnes qui achètent. Les MOYOF se sont, par exemple, très bien vendus pour la fête des pères. De même, Giuliani m’a raconté que des personnes travaillant dans un cabinet dentaire avaient «toutes acheté des masques représentant le bas du visage de leur patron et qu’elles le mettaient lors des nettoyages de dents, juste pour s’amuser». C’est aussi généralement par humour que les gens choisissent de porter un masque avec le bas du visage d’une célébrité. Cozzolino, par exemple, adore son masque de Post Malone, sur lequel on peut voir ses nombreux tatouages faciaux. Cozzolino dit aussi qu’il a choisi exprès une photo où le rappeur avait la bouche ouverte: «Si j’ai l’occasion d’avoir des bijoux dentaires, je la saisis», explique-t-il.
Bunny Giuliani avoue qu’elle est parfois étonnée par les raisons que sa clientèle donne pour justifier ses achats. Elle raconte ainsi qu’une de ses clientes «les voulait absolument pour elle et son mari pour le week-end suivant, parce qu’ils se rendaient à un mariage et qu’ils ne voulaient pas se faire remarquer. Donc moi, j’étais là… “OK…” Je veux dire… ça m’étonnerait qu’ils n’aient pas été remarqués.»
Un masque qui attire autant qu’il répulse
Personnellement, je comprenais ce couple aux excuses incompréhensibles, car je ressentais moi aussi une attraction irrépressible pour ces masques. C’était tellement n’importe quoi, c’était terrible… il m’en fallait absolument un. Lorsque l’heure est finalement venue d’acquérir mon propre MOYOF, j’ai trouvé que la commande était facile sur tous les sites où je suis allée: j’ai pris quelques selfies, j’ai choisi ceux qui présentaient le meilleur éclairage et la meilleure résolution et je les ai glissés dans une série de modèles informatiques. Deux des sites que j’ai essayés ne m’ont jamais rien envoyé, sans doute en raison des retards de livraisons dus à la pandémie. Les masques que j’ai reçus de l’un des sites d’impressions à la demande avaient non seulement une texture matelassée qui n’était pas en option, mais faisaient surtout apparaître une bouche et un nez tellement surdimensionnés que c’en était comique (j’en ai encore quelques-uns si jamais cela intéresse quelqu’… euh, non, laissez tomber).