« Faire ce film, c’était redonner un visage, une voix, une humanité à ceux qu’on a voulu effacer de l’histoire. »
— Patrick Baucelin

Depuis plus de quarante ans, Patrick Baucelin filme la mémoire, les paysages et les voix de la Martinique et de la Caraïbe. Réalisateur autodidacte, producteur et auteur passionné, il a construit une œuvre cohérente et sensible, guidée par le désir de rendre visible ce qui nous fonde : notre histoire. Avec son dernier film La Couleur de l’Esclavage, il offre au public un documentaire historique ambitieux, soutenu par une mise en scène soignée et des reconstitutions profondément humaines. Plus qu’une œuvre cinématographique, c’est une traversée du temps, une plongée dans la brutalité silencieuse des siècles d’esclavage, et une invitation à comprendre, par l’image, ce que les livres peinent parfois à transmettre.

Le cinéma comme acte de transmission
Né à Fort-de-France en 1957, Patrick Baucelin a fait du cinéma son moyen de raconter la Martinique et sa région. Son parcours s’est construit en dehors des grandes écoles, au prix de rigueur, d’obstination et de passion. Ses films, tournés avec des équipes souvent réduites, témoignent d’un engagement rare : celui de faire exister un cinéma patrimonial dans un territoire où les moyens sont limités mais où les histoires sont immenses.
Son œuvre explore les racines, les lieux, les architectures, les pratiques culturelles, les rites et les trajectoires humaines. De La Martinique (1999) à Les Églises de Martinique (2007), en passant par Le Costume traditionnel (2013), ses documentaires sont devenus des références dans la transmission du patrimoine antillais. La Couleur de l’Esclavage, réalisé en 2023, s’inscrit dans la continuité de cette démarche.

Raconter l’indicible : l’histoire par les corps, les regards et les silences
Entre le XVIᵉ et le XIXᵉ siècle, plus de 14 millions de femmes, d’hommes et d’enfants africains ont été déportés vers les Amériques pour servir de main-d’œuvre servile dans les plantations. Les Antilles ont été l’un des cœurs battants de ce système brutal. Reconstituer et montrer cette histoire n’est pas anodin. Il ne s’agissait pas pour Patrick Baucelin de reconstituer un livre d’histoire, mais de réincarner des vies interrompues, de donner un visage à ce que l’on nomme trop souvent « les captifs », un mot qui efface l’humain.
À travers une mise en scène sobre, des scènes reconstituées et des personnages anonymes, le film montre la traversée, l’arrachement, la violence économique et psychologique, mais aussi les gestes du quotidien, la résistance silencieuse, les liens tissés au cœur de l’adversité. Les figurants, bénévoles, donnent à l’image une sincérité qui force l’émotion. Il ne s’agit pas de performance, mais de transmission.

Un film martiniquais devenu œuvre caribéenne et universelle
La Couleur de l’Esclavage n’est pas seulement un film pour la Martinique. Il circule, il voyage, il dialogue. Sélectionné et récompensé dans de nombreux festivals internationaux, il témoigne de la place du cinéma caribéen dans la grande conversation mondiale sur l’histoire de l’esclavage et du colonialisme. À l’écran, la langue est française, mais la mémoire, elle, est universelle.
Ce film vient rappeler que la Caraïbe n’est pas seulement un espace touristique : elle est l’un des lieux où s’est jouée une histoire qui a transformé l’économie du monde, structuré des sociétés entières et marqué durablement les identités, les rapports sociaux, les paysages et les imaginaires.
Créer pour ne pas oublier
Depuis plus de quatre décennies, Patrick Baucelin n’a cessé de filmer pour préserver, expliquer, valoriser. Son travail contribue à la construction d’une mémoire partagée. La Couleur de l’Esclavage en est un jalon majeur : un film-pont entre passé et présent, entre douleur et connaissance, entre silence et parole.
Parce qu’enseigner l’histoire de l’esclavage, c’est dire d’où nous venons ;
Parce que comprendre, c’est rassembler ;
Parce que montrer, parfois, c’est réparer.






