Dans une Assemblée nationale sans majorité absolue, l’adoption en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 constitue, pour Sébastien Lecornu, bien davantage qu’un simple épisode budgétaire : un moment politique revendiqué, présenté comme la preuve qu’il est possible de gouverner sans recourir au 49.3. Avec 247 voix pour, 234 contre et 93 abstentions, le texte passe grâce à une combinaison inhabituelle de soutiens et de renoncements qui permet au Premier ministre de mettre en scène sa propre méthode : le compromis comme pratique de gouvernement.
LA FIN AFFICHÉE DE L’ÈRE DU 49.3
Lecornu insiste sur une rupture symbolique avec ses prédécesseurs : réussir un budget social sans passage en force. Dans un Parlement fragmenté, l’exercice relève à la fois de l’équilibrisme et de la construction narrative. Le vote devient un outil de démonstration : là où la séquence 2022-2024 n’avait produit que des affrontements stériles, le chef du gouvernement revendique un premier résultat obtenu par le dialogue.
Cette victoire arithmétique repose toutefois sur un assemblage fragile : le soutien explicite des socialistes, les abstentions décisives d’Horizons, de LR et des écologistes. Ce socle incertain permet néanmoins à Lecornu de parler d’une “majorité de responsabilité”, concept suffisamment souple pour survivre à l’hétérogénéité des motivations.
LA « MÉTHODE DU COMPROMIS » : UN MARQUEUR PERSONNEL
Lecornu ne se contente pas de négocier : il met en scène la négociation comme un acte politique en soi. Son entourage revendique une stratégie bilatérale, patiente, personnalisée. Les groupes parlementaires sont approchés un par un, sur la base d’engagements ciblés et, surtout, de concessions substantielles à gauche.
Pour obtenir les voix socialistes, le Premier ministre accepte ce que Bercy considérait encore il y a quelques semaines comme des lignes rouges :
– suspension de la réforme des retraites jusqu’en 2028 ;
– relèvement de l’Ondam à environ 3 %, soit plusieurs milliards supplémentaires pour l’hôpital et la médecine de ville ;
– abandon du doublement des franchises médicales ;
– indexation des pensions et prestations sociales sur l’inflation ;
– ouverture à des recettes nouvelles ciblant hauts revenus, capital et grandes entreprises.
À droite, Lecornu veille à ne pas provoquer de rupture : quelques ajustements techniques sur les retraites et un discours de continuité budgétaire suffisent à éviter la constitution d’un front hostile. Le Premier ministre cultive ainsi l’image d’un médiateur capable de déplacer les lignes idéologiques, sans renier l’autorité de Matignon.
UNE VICTOIRE FRAGILE ÉRIGÉE EN DÉMONSTRATION DE LEADERSHIP
Lecornu présente l’épisode comme un test de gouvernabilité : s’il parvient à faire adopter le PLFSS sans majorité absolue, c’est que le Parlement peut redevenir un espace de travail. Le discours est simple, presque pédagogique : la politique se construit désormais dans les compromis, non dans les rapports de force.
Ce récit masque mal les zones d’ombre. Les concessions consenties creusent le déficit social ; les divisions demeurent vives dans les groupes Horizons et LR ; le texte doit encore passer par un ultime aller-retour au Sénat. Rien n’indique que la mécanique pourra être reproduite indéfiniment.
Mais c’est précisément dans cette incertitude que Lecornu inscrit son succès. Le compromis devient non seulement la méthode, mais le message : gouverner sans majorité n’est plus un handicap, mais un champ d’opportunités pour qui accepte de renoncer à la verticalité. En transformant un vote étroit en victoire narrative, le Premier ministre cherche à imposer l’idée que Matignon peut encore produire du politique — à condition que l’on accepte d’y voir moins un château fort qu’une salle de négociation ouverte.
Jean-Paul BLOIS



