Depuis vingt-cinq ans, les Congrès des élus martiniquais rythment la vie institutionnelle sans jamais provoquer, à eux seuls, un basculement de statut. Ils dessinent des pistes, posent des diagnostics, adoptent des vœux, mais restent cantonnés à un rôle consultatif. La décision ultime relève de l’État, via une révision constitutionnelle, une loi organique ou une consultation de la population. Leurs limites sont connues : absence de consensus durable, abstention élevée, incertitudes financières et dépendance au calendrier politique parisien.
Un outil de proposition, pas de décision
Pensé comme une enceinte de convergence rassemblant maires, conseillers territoriaux et parlementaires, le Congrès n’a qu’un poids politique. Juridiquement, il ne peut enclencher seul une évolution statutaire : l’initiative reste entre les mains de Paris.
La leçon de 2010 : une réforme d’organisation, pas de régime
Les consultations populaires de janvier 2010 ont ouvert la voie à la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), installée en 2015. Mais il s’agissait d’une fusion institutionnelle (Région–Département) dans le cadre de l’article 73, et non d’un véritable changement de statut. Les Congrès avaient nourri le débat, mais c’est le vote populaire et la loi qui ont fait la réforme. Depuis, aucun processus juridique n’a été enclenché pour aller plus loin.
Un consensus introuvable
Derrière l’accord de façade sur la « responsabilisation », les lignes de fracture persistent : jusqu’où aller en matière de pouvoir normatif ? Quelles compétences transférer et selon quel rythme ? Comment préserver les garanties sociales ? Faute de plateforme commune portée par l’ensemble des forces politiques et économiques, chaque Congrès reprend la discussion à zéro.
Une légitimité fragilisée
L’abstention chronique pèse lourd. L’État comme les élus redoutent qu’une décision statutaire soit portée par une minorité d’électeurs. Sans pédagogie publique, de documents clairs et de mobilisation massive, la fenêtre politique se referme rapidement.
La boîte noire des finances
Toute évolution exige de traiter les dotations, l’octroi de mer, la fiscalité locale, la péréquation avec l’Hexagone et les charges nouvelles. En l’absence de chiffrage partagé et de garanties, la prudence domine chez les élus… et les électeurs.
Paris, maître des horloges
Même lorsqu’une orientation se dessine, elle reste suspendue à l’arbitrage gouvernemental et à un agenda parlementaire . Faute de textes co-rédigés avec l’État et prêts à l’emploi, les résolutions s’étiolent dans un entre-deux.
Des symboles piégés par l’histoire
Le vocabulaire du statut (« peuple », « autonomie », « République ») ravive des mémoires sensibles et nourrit les procès d’intention.
Aucun Congrès n’a encore su construire une narration claire et rassurante pour lever ces peurs!
Ce qui a manqué : un texte unique et opérationnel ; une légitimation démocratique préparée ; un montage financier crédible ; un dispositif législatif prêt à être déposé.
La condition de l’efficacité
Un Congrès ne peut réussir que s’il est relié immédiatement à un parcours juridique ficelé, du consensus local jusqu’à la traduction parlementaire. À défaut, il reste une scène performative, riche d’idées mais pauvre en effets. Une catharsis théâtrale sans grand effet
Ainsi les Congrès n’ont pas échoué faute d’imagination, mais faute de traduction : du politique vers le juridique, de l’intention vers l’action. Tant que consensus, légitimité et financement ne seront pas verrouillés en amont, Paris gardera la main et la Martinique ses Congrès.
Un Congrès sans méthode n’est qu’un miroir des carences locales ; le jour où les élus accepteront d’assumer chiffres, calendrier et responsabilités, il cessera d’être un alibi et pourra devenir un outil.
Gérard Dorwling-Carter



