– Le 24 septembre 2025, devant des milliers de fidèles place Saint-Pierre, le pape Léon XIV a livré une catéchèse qui pourrait surprendre jusque dans les îles de la Caraïbe. S’appuyant sur la tradition du Samedi saint et l’Évangile apocryphe de Nicodème, le souverain pontife a redéfini les enfers non comme un lieu de damnation éternelle, mais comme une « condition de vie affaiblie, marquée par la douleur, la solitude, la culpabilité et la séparation d’avec Dieu et les autres ».
À des milliers de kilomètres du Vatican, ces mots résonnent avec un imaginaire bien vivant : celui du quimbois, ensemble de croyances et de pratiques magico-religieuses qui irriguent encore la vie sociale et spirituelle antillaise.
Le malheur comme désordre existentiel
Dans les sociétés de Martinique et de Guadeloupe, le quimbois n’est pas seulement perçu comme sorcellerie. Héritage africain, amérindien et européen mêlé au catholicisme, il constitue un langage pour expliquer les épreuves de l’existence : maladie, pauvreté, solitude, ruptures familiales. L’acte de « jeter » ou de « protéger » ne relève pas seulement du rituel magique mais d’une tentative de rétablir un équilibre rompu.
Or, la lecture existentielle proposée par Léon XIV rejoint cette même intuition : l’enfer n’est pas ailleurs, il est déjà là, dans l’expérience quotidienne de la souffrance et de l’abandon. À sa manière, le pape parle le même langage que celui qu’emploient, dans un autre registre, les praticiens du quimbois.
Une libération par-delà les ténèbres
« Le Christ descend jusque dans les ténèbres les plus épaisses pour atteindre même le dernier de ses frères et sœurs », a affirmé le pape. La mission de Jésus, selon lui, n’est pas de juger mais de libérer. Un discours qui fait écho à l’usage du quimbois protecteur : éloigner le mal, apaiser les esprits, guérir les blessures.
Mais la différence est de taille. Là où le quimbois s’appuie sur une pluralité de forces invisibles – ancêtres, esprits, énergies – l’enseignement pontifical recentre la délivrance sur l’amour radical de Dieu. L’un relève d’un système syncrétique, l’autre d’une théologie universaliste.
Continuités et tensions
Cette proximité apparente souligne aussi une tension ancienne. L’Église catholique a toujours mis en garde contre la tentation de réduire la foi à une logique de causalité magique : chercher la protection immédiate par des pratiques plutôt que par une relation avec Dieu. Le quimbois exprime une même volonté de nommer et conjurer le mal, tout comme la catéchèse de Léon XIV s’efforce de transformer l’idée de l’enfer en un message de consolation et d’espérance. Mais la démarche n’est pas la même
Une Église en mutation, un imaginaire en dialogue
En redéfinissant les enfers comme condition humaine, le pape poursuit l’élan initié par François : faire dialoguer la théologie chrétienne avec les blessures contemporaines. De son côté, le quimbois continue d’habiter l’imaginaire antillais comme une lecture populaire du malheur et de la délivrance.
Entre Rome et Fort-de-France, ce parallèle inattendu révèle une même quête : comprendre comment, dans la souffrance, l’humanité peut trouver un chemin de libération. Sauf que certaines dérives – trop fréquentes – participent de projets sordides ( faire du mal, se venger etc. )que la pratique religieuse ne connaît pas.
Jean-Paul BLOIS