Le débat sur ce que « coûtent » réellement les Antilles à la France et à l’Europe revient régulièrement sur la scène publique, alimenté tantôt par les tensions autonomistes, tantôt par la dégradation des finances publiques, tantôt encore par l’incertitude entourant les futurs financements européens. Pourtant, ce débat souffre plus que jamais d’amalgames, de raccourcis idéologiques et d’une vision purement comptable incapable de saisir la complexité du lien entre la Guadeloupe, la Martinique, l’État et l’Union européenne. Ce prisme réducteur, devenu réflexe, produit davantage de confusion que de compréhension. Il masque le fonctionnement d’un système de solidarité qui s’essouffle, il méconnaît la valeur géostratégique des territoires ultramarins, et il sous-estime la dépendance cruciale aux fonds européens dans un moment où ceux-ci sont eux-mêmes remis en question. Dans un contexte où la France traverse une crise budgétaire majeure, où l’Europe revoit drastiquement ses priorités et où le monde bascule vers un nouveau centre de gravité asiatique, la question du coût du lien financier entre l’Hexagone et les Antilles prend une signification inédite.
Un débat faussé par les amalgames comptables et idéologiques
La première source de confusion, entretenue dans les débats publics, réside dans l’idée que la France tirerait un profit automatique des importations des Antilles. Chaque voiture, appareil électroménager ou marchandise venue de métropole serait supposément une manne fiscale drainée vers Paris. Cette représentation ignore le fonctionnement réel de la fiscalité locale.
L’illusion d’un profit commercial au bénéfice de l’Hexagone
L’essentiel des marchandises importées en Guadeloupe et en Martinique est taxé par l’octroi de mer et l’octroi de mer régional, perçus directement par les collectivités locales. Acheter un bien importé ne constitue pas un enrichissement de la métropole. De plus, une large part des produits consommés provient d’Asie, ce qui invalide l’idée d’un enrichissement automatique de la France.
Ce que disent réellement les chiffres des transferts publics
En 2024, les Outre-mer ont rapporté environ 3,6 milliards d’euros à l’État, tandis que les dépenses publiques s’élèvent à 28,7 milliards. Ce déséquilibre apparent relève de la logique normale de la solidarité nationale, au même titre que pour les territoires ruraux de métropole.
Sursalaires, allègements de charges : les piliers fragiles du modèle ultramarin
Près de 4 milliards d’euros par an sont consacrés aux dispositifs spécifiques : sur-rémunérations, exonérations, TVA réduite, défiscalisation. Ces mécanismes soutiennent l’économie locale mais reposent sur un équilibre devenu fragile.
L’État face au mur de la dette : une solidarité financière sous tension
Avec une dette publique en forte hausse et des marges budgétaires réduites, l’État ne pourra maintenir éternellement le même niveau de transferts financiers vers les Antilles.
L’Europe en recomposition : la menace d’un recul historique des fonds structurels
Le cadre financier européen 2028–2034 pourrait remettre en question le traitement spécifique des régions ultrapériphériques. Une baisse des fonds européens fragiliserait fortement les capacités d’investissement local.
Dépendance financière ou transformation structurelle : le vrai choix stratégique
Les Antilles doivent désormais s’engager dans une mutation économique fondée sur la diversification, la montée en compétence et une autonomie productive minimum.
Le risque d’un choc systémique en cas de crise financière nationale
Une crise budgétaire majeure en France provoquerait un choc immédiat : gel de l’investissement public, recul de la consommation, hausse du chômage et faillites.
Une économie sans amortisseurs face au risque de déflation sociale
L’absence de leviers budgétaires et monétaires propres exposerait brutalement les Antilles à une spirale économique dépressive.
La fin de l’illusion de la permanence de la solidarité
Le modèle historiquement fondé sur la redistribution montre aujourd’hui ses limites dans un contexte de rareté budgétaire généralisée.
« Lajan sé létè » : l’urgence d’un modèle économique enfin souverain
Dans un monde où les ressources publiques se raréfient, l’avenir des territoires dépendra de leur capacité à bâtir un modèle économique résilient.
Jean-Marie Nol, économiste et juriste en droit public



