“ La Martinique a besoin d’un espace pour se projeter ensemble. Un espace capable de penser collectivement les grandes orientations de notre avenir. Un Conseil d’orientation stratégique, rassemblant les forces politiques, syndicales, économiques, culturelles, associatives et citoyennes du pays. Un lieu de construction partagée, dégagé des jeux partisans, où les divergences nourriraient un projet martiniquais clair, durable, et surtout crédible. “
A cette assertion figurant dans l’un de mes récents Regard, un ami lecteur d’Antilla m’a écrit son analyse.
Citation.
“ Ce lieu existe. Il ne relève pas d’un rêve ou d’un vœu pieux : il s’appelle le CESECEM, le Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de Martinique.
Il est né en 2015 de la fusion du CESER et du CCEE, dans le sillage de la création de la Collectivité Territoriale de Martinique. C’est une instance consultative, représentative de la société civile, dont la vocation est précisément de produire de l’analyse, de l’expertise et de la prospective au service de la décision publique.
Toutes les composantes de la société martiniquaise y sont représentées – ou presque.
Sauf une, et non des moindres : la sphère politique. Car le CESECEM n’accueille pas d’élus. Il n’est pas un parlement bis. Il est conçu comme un espace autonome de réflexion, dont les rapports, enquêtes, avis et préconisations doivent nourrir l’action publique. Théoriquement.
Car dans les faits, cette architecture vertueuse est en panne.
Le CESECEM tourne à vide ou presque. Il publie, il travaille, il se mobilise – mais personne ne l’écoute. Les avis, souvent pertinents, parfois critiques, toujours utiles, finissent trop souvent au fond des tiroirs. Ses travaux sur la qualité de l’eau, la pauvreté, la jeunesse, l’autonomie alimentaire, les transports, l’école, la production locale, la santé, la culture, sont ignorés, marginalisés, vidés de leur portée. Alors même qu’ils répondent, avec sérieux, aux défis que tous les Martiniquais perçoivent.
Faut-il, une fois de plus, créer une nouvelle structure, un nouveau comité, un énième “machin” ?
Je ne le crois pas. Le problème n’est pas l’absence d’outil. Il est dans le refus de le faire fonctionner. Il est dans le déficit de légitimité, de moyens, d’écoute, de confiance, qui empêche cette instance d’assumer pleinement sa mission.
Je vois au moins six causes à cette impuissance institutionnalisée.
La première est politique.
Les majorités qui se succèdent à la CTM redoutent, dans leur immense majorité, tout contre-pouvoir. La société civile organisée, dès lors qu’elle pense autrement ou ose formuler des critiques, devient suspecte. Le CESECEM, par nature indépendant, en paie le prix.
La deuxième est budgétaire.
Le Conseil n’a pas de budget propre. Il dépend entièrement de la CTM, qui peut donc limiter sa capacité d’action en restreignant les moyens qu’elle lui alloue.
La troisième est institutionnelle.
Les membres du CESECEM ne sont pas élus mais désignés, ce qui alimente un soupçon de cooptation ou d’entre-soi, et limite leur reconnaissance publique.
La quatrième est liée à la personnalisation excessive du pouvoir.
À la CTM comme au sein du CESECEM lui-même, trop de décisions reposent sur quelques personnes. Or une telle concentration empêche le débat ouvert, empêche la pluralité des voix de s’exprimer librement.
La cinquième tient à l’absence de liens organiques entre le CESECEM et la CTM.
Depuis sa création, jamais le Conseil n’a été saisi volontairement par l’exécutif pour instruire une question d’intérêt général. Seules les saisines obligatoires, prévues par les textes, sont respectées. Tout le reste repose sur l’auto-saisine, c’est-à-dire l’initiative des conseillers eux-mêmes, souvent sans écho ni relais.
La sixième, enfin, est une faiblesse de communication.
Faute de moyens et de stratégie, les travaux du CESECEM sont peu visibles. Ils circulent mal dans l’espace public. Ils sont peu médiatisés. Résultat : une machine de 68 conseillers, 8 commissions, une quinzaine de groupes de travail, une équipe administrative motivée et compétente, qui produit, mais en circuit fermé.
Et pourtant, le potentiel est là. Il ne s’agit pas de tout jeter. Il s’agit de redonner sens, souffle et place à cette institution. De la libérer du silence auquel on l’a condamnée. De lui permettre de redevenir ce qu’elle devrait être : un laboratoire de pensée martiniquaise, une conscience critique du territoire, une boussole pour l’action publique.
Ce chantier, nous sommes quelques-uns à le porter. Inlassablement.
Depuis sept ans. Nous savons ce qu’il reste à accomplir. Nous savons les obstacles, les résistances, les inerties. Mais nous savons aussi que le CESECEM peut devenir une instance vitale pour notre démocratie locale. Encore faut-il que les décideurs politiques cessent de l’ignorer, et que la société martiniquaise se réapproprie cet outil, non comme un symbole, mais comme une ressource.
Y parviendrons-nous ? Rien n’est moins sûr. Mais à défaut de certitude, nous avons cette conviction : la Martinique ne peut plus se payer le luxe d’étouffer les rares lieux où l’intelligence collective peut encore s’exercer.”