Source: Actualitte.com
Chaque rentrée littéraire vient avec ses chiffres : nombre de titres, genres dominants, tendances stylistiques. Cette année, un autre indicateur s’impose : après une décennie de progression, les femmes n’ont jamais été aussi présentes. Et bien que la reconnaissance critique reste plus fragile, les dernières années montrent un net mouvement de rattrapage. Les données et analyses qui suivent proviennent de la veille quotidienne menée par Bibliosurf sur les rentrées littéraires de 2015 à 2024.
Une féminisation progressive, mais inégale
En 2015, seuls 34 % des romans publiés à la rentrée étaient signés par des femmes. Neuf ans plus tard, elles en représentent 42,4 %. Le pic est atteint en 2022, avec un niveau proche de la parité (48,1 %). La courbe n’est pas linéaire — recul à 39 % en 2023 — mais la tendance de fond est claire : les autrices occupent désormais une place incontournable.
Coups de cœur : la décennie du rééquilibrage
Longtemps minoritaires dans les coups de cœur, les autrices amorcent pourtant une remontée. Après les déséquilibres marqués de 2016 et 2018, 2020 fait figure de bascule avec une parité inédite (50/50). Depuis, la tendance se rapproche régulièrement de l’équilibre : alignement parfait en 2022, puis proportions voisines en 2023 et 2024.
Des dynamiques contrastées selon les pays
La géographie littéraire révèle des écarts marqués. Dans certains pays, la parité est déjà acquise, voire dépassée : Danemark (62 % d’autrices traduites), Australie (54 %), Suède (52 %), Turquie (52 %). La Corée du Sud et le Royaume-Uni atteignent même un équilibre parfait (50/50).
À l’inverse, d’autres scènes restent dominées par les auteurs masculins. C’est le cas des États-Unis (43 % d’autrices traduites), du Japon (41 %) et de la France (42 %). Ce paradoxe est frappant : alors même que la France compte de nombreuses romancières reconnues, leur proportion reste en retrait dans les publications mises en avant. Ce biais s’explique sans doute par le poids des canons littéraires traditionnels, largement masculins, et par une sélection éditoriale qui tend encore à privilégier les auteurs déjà installés.
Un changement générationnel
La pyramide des âges confirme cette bascule. Parmi les générations les plus âgées, les auteurs hommes dominent nettement. Mais depuis la tranche 30–40 ans, la parité est enfin atteinte, signe d’une génération où les autrices occupent une place égale à celle de leurs confrères. De quoi imaginer, dans la décennie à venir, un rééquilibrage durable.
Deux imaginaires, deux styles
L’analyse des quatrièmes de couverture et des critiques met en évidence une fracture genrée : aux autrices, l’intime et le familial — maternité, transmission, mémoire ; aux auteurs, les grands récits — guerre, Histoire, figures masculines, confrontation avec la mort et la violence.
La critique elle-même se scinde en deux registres : empathique et immersif pour les autrices, évaluatif et hiérarchisant pour les auteurs. Ici encore, l’écart se creuse entre l’expérience sensible et la reconnaissance institutionnelle.
La condition féminine comme moteur narratif
Nombre de romans portés par des autrices abordent de front la condition des femmes : domination patriarcale, violences subies, mais aussi émancipation, résistance et transmission intergénérationnelle. Ces thématiques rencontrent un écho particulier dans la critique et contribuent à installer les autrices comme porteuses d’une parole à la fois littéraire et sociale.
Une parité encore à conquérir
Au terme de la décennie, le constat reste contrasté. Les autrices publient davantage, leur visibilité progresse, et les nouvelles générations ouvrent la voie d’un équilibre durable.
Mais les déséquilibres persistent, surtout dans la reconnaissance médiatique et critique.
La parité, déjà bien engagée dans les chiffres, reste à conquérir dans les palmarès, les prix et le canon littéraire. La rentrée 2025, encore en cours de construction, dira si ce mouvement s’installe enfin… ou si les résistances continuent de peser.
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Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Bernard Strainchamps
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