Dans les débats sur l’autonomie ultramarine, une équation complexe se dessine. D’un côté, la question du retard de développement de l’autre, l’application du principe de sagesse politique , conçu pour protéger mais qui peut, mal pensé, devenir un frein. Comment transférer aux collectivités une responsabilité morale et juridique immense sans leur donner les moyens financiers et institutionnels d’y répondre ?
Le paradoxe des réparations
Un exemple à prendre en considération : reconnaître l’esclavage comme crime contre l’humanité, ce que fit la loi Taubira en 2001, n’a pas suffi à ouvrir une voie claire aux réparations. Les demandes financières, comme celle des 200 milliards d’euros formulée en 2005, se sont heurtées à l’impossibilité d’évaluer les préjudices. Or, limiter la réparation à l’indemnisation serait une impasse. Elle doit s’attaquer aux inégalités structurelles, aux fractures mémorielles et aux discriminations persistantes qui freinent encore le développement des sociétés antillaises et guyanaises.
Un principe protecteur devenu frein
Dans ce contexte, le principe de précaution, appliqué au choix institutionnel (article 73 ou 74 de la Constitution), prend une dimension particulière. Présenté comme protecteur, il risque de figer l’action publique et de renforcer la judiciarisation des débats, au détriment de l’innovation. Une autonomie proclamée mais privée de ressources pérennes risquerait de transformer une responsabilité attendue en un fardeau politique et social.
Pouvoir normatif et “faire peuple”
Une autre articulation subtile traverse le débat : l’octroi de pouvoirs normatifs à une collectivité qui demeure française, mais qui à l’occasion, pour certains aspire à “faire peuple”, sinon à s’affirmer comme nation. La proposition de Bougival, qui envisage une évolution de l’article 73 pour concilier appartenance à la République et pouvoir législatif local, pourrait-elle servir de modèle ? Elle ouvre la voie à une autonomie encadrée, mais respectueuse des droits acquis.
Sortir du paradigme du “payeur-commandeur”
Reste enfin une question centrale : comment rassurer les populations sur la pérennité des aides de l’État, sans que celles-ci ne soient perçues comme un instrument de contrôle ? Le paradigme ancien — “qui paie commande” — ne peut servir de référence à une autonomie équilibrée. Seule une clarification durable des transferts financiers, accompagnée d’un plan de réparation sociale et économique, permettrait de garantir que l’autonomie ne soit pas synonyme de fragilisation.
Justice, développement… et consensus
Sans un consensus fort des élus et une adhésion massive de la population, l’autonomie restera un mirage dangereux. Les Outre-mer ne peuvent être sommés d’assumer seuls la réparation d’injustices historiques avec des moyens dérisoires. La République doit choisir : soit maintenir le statu quo et nourrir la défiance, soit assumer un véritable partage du pouvoir normatif et des ressources. Le temps des demi-mesures est révolu : l’autonomie ne peut réussir que dans la clarté, la justice et la loyauté.
Gérard Dorwling-Carter