Un courrier publié dans Antilla sous le titre : ” Agir ici et maintenant ” rappelle avec force que la Martinique ne peut pas se permettre d’attendre un hypothétique changement statutaire pour répondre à ses urgences sociales, économiques et sécuritaires. Cet appel au réalisme est salutaire. Mais il appelle aussi quelques précisions sur ce que permet réellement l’article 73 de la Constitution — et sur ce qu’il ne permet pas.
Oui, agir immédiatement est indispensable
Personne ne peut nier l’urgence : 27 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté (91 800 personnes, 44 300 foyers) ; le chômage touche encore 11,5 % des actifs, soit plus de 15 000 demandeurs d’emploi ; la violence s’installe dans nos quartiers et l’exil des jeunes s’accélère. Face à ce constat, utiliser tous les leviers disponibles, dont ceux de l’article 73, est une nécessité.
Les habilitations : un levier réel mais trop lent
L’article 73 permet à la Collectivité territoriale de Martinique de demander des habilitations pour adapter certaines lois. Mais cette procédure est lourde et lente : entre la délibération de la CTM, la transmission au gouvernement, puis le vote du Parlement, il faut souvent 18 à 24 mois pour qu’une mesure devienne effective. Dans un contexte d’urgence sociale, ce délai réduit considérablement l’impact immédiat.
Un champ d’action étroit
Les habilitations ne peuvent concerner que les domaines où la CTM a déjà des compétences (urbanisme, logement, environnement, santé locale). Elles excluent les champs régaliens : sécurité, justice, fiscalité nationale, diplomatie. Même dans ses compétences, l’adaptation reste limitée : impossible, par exemple, de déroger aux règles européennes sur la reconnaissance des diplômes de médecins.
Un coût financier pour la Collectivité
L’autre limite, souvent passée sous silence, tient au poids financier indirect. Faute de transferts suffisants de l’État, la CTM compense déjà dans des domaines qui ne relèvent pas strictement de ses compétences : 40 M€ d’aides aux hôpitaux de proximité et au CHU en 2024, alors que la santé est une compétence nationale ;
58 M€ pour le service départemental d’incendie et de secours (SDIS), pourtant lié à la sécurité civile ; 415 M€ pour les allocations sociales (RSA, APA, PCH), souvent mal compensées par l’État.
Au total, un tiers du budget de la CTM est absorbé par des charges qui devraient relever du financement national. C’est autant de moyens en moins pour investir dans l’économie, la transition énergétique, ou les infrastructures locales.
Un outil utile, mais insuffisant
Notre lecteur a raison : la Martinique ne peut pas rester dans l’attentisme. Elle doit utiliser pleinement les marges de manœuvre de l’article 73, demander des habilitations ciblées et prouver sa capacité à gouverner. Mais il faut aussi regarder les choses en face : l’article 73 est un outil d’adaptation, pas une solution structurelle. Sa lenteur, son champ restreint et son coût limitent fortement son efficacité.
Agir « ici et maintenant » est donc nécessaire, mais ne doit pas empêcher de penser l’avenir. La Martinique doit combiner l’usage immédiat des habilitations avec une réflexion de fond sur son cadre institutionnel et sur les moyens financiers qui lui permettront d’assumer réellement son développement.
Gérard Dorwling-Carter