La décision de Yan Monplaisir de ne pas participer au Congrès des élus de Martinique mérite une réponse précise, argumentée et respectueuse. Car les raisons invoquées, bien qu’elles puissent paraître légitimes à première vue, négligent plusieurs réalités fondamentales qui concernent l’avenir collectif des Martiniquais.
Contexte national et local : l’inopportunité comme faux prétexte
M. Monplaisir affirme que la situation politique nationale, marquée par l’instabilité, ne permettrait pas de relancer le débat institutionnel. Or c’est précisément dans ces périodes d’incertitude qu’il est crucial de faire entendre la voix des territoires.
L’histoire récente démontre que les Outre-mer ne peuvent attendre une hypothétique « stabilité nationale » pour être entendus : les avancées de la LOOM (2000) ou de la loi du 27 juillet 2011 ont été obtenues dans des contextes politiques eux aussi agités.
Reporter sans cesse la réflexion institutionnelle, c’est condamner la Martinique à l’immobilisme. Comme le disait Aimé Césaire en 1981 à propos du débat sur l’autonomie, ” ce n’est jamais le bon moment » pour ceux qui redoutent le changement.”
Quant à l’argument d’une volonté implicite de distendre le lien avec la République, il convient de rappeler que le Congrès n’a aucun pouvoir de décision définitive : il ouvre un débat, propose des orientations, et toute évolution majeure nécessitera in fine un vote de la population par référendum. Dire le contraire est tromper la population. Et ne pas y participer est refuser un processus démocratique.
Le Congrès n’est pas une fuite en avant, mais un espace démocratique prévu par la Constitution pour que la Martinique exprime ses besoins institutionnels. Il faut en faire un juste usage.
Les « vraies priorités » et l’illusion du court-termisme
M. Monplaisir oppose la lutte contre la violence, la gestion de l’eau, des transports et des services publics aux débats institutionnels. Or cette opposition est trompeuse : les problèmes quotidiens trouvent précisément leurs causes dans un cadre institutionnel et budgétaire inadapté.
La crise de l’eau résulte pour une grande part de la dispersion des compétences entre État, CTM, intercommunalités et opérateurs. Une clarification institutionnelle est nécessaire pour une gouvernance efficace.
Les transports collectifs, paralysés depuis dix ans, pâtissent d’une absence de leviers normatifs et fiscaux qui limitent la capacité locale à planifier et financer durablement.
La violence et les inégalités sociales sont aggravées par le manque de moyens dans l’éducation, la justice et la prévention, domaines où une adaptation des normes et des budgets aux réalités locales pourrait améliorer la situation. Des secteurs qui, faut-il le rappeler relèvent du domaine régalien, autrement dit de la compétence de l’État.
Les urgences sociales et le débat institutionnel ne s’opposent pas. Au contraire, les premiers nécessitent le second pour être résolus durablement. Ne serait-ce que pour clarifier les responsabilités.
La confiance envers les élus et la question des compétences
M. Monplaisir estime que les élus doivent d’abord prouver leur capacité à gérer les compétences existantes avant d’en réclamer de nouvelles. Cet argument, séduisant en apparence, ignore une réalité : les moyens et les règles actuelles sont structurellement insuffisants.
La CTM gère aujourd’hui un budget d’environ 1,45 milliard d’euros, mais près d’un tiers est absorbé par des dépenses sociales obligatoires (RSA, APA, PCH), sans marge de manœuvre sur la fiscalité.
L’État conserve la maîtrise des leviers essentiels : fiscalité indirecte (TVA,), normes budgétaires, organisation de la justice, police, éducation. Or ce sont précisément dans ces domaines que se cristallisent les critiques de la population.
D’autres collectivités ultramarines (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie), disposant de pouvoirs accrus, ont montré qu’une autonomie bien pensée permettait d’adapter les politiques publiques et de renforcer la confiance des citoyens.
La confiance ne se reconstruira pas par l’inaction, mais par la démonstration que nos élus ont les moyens d’agir efficacement, ce que seul un ajustement institutionnel peut permettre.
Un Congrès contre-productif ?
M. Monplaisir redoute que le Congrès entretienne l’illusion que nos difficultés viennent uniquement de notre statut. Mais nier l’impact institutionnel, c’est occulter une partie essentielle du problème.
Comparer la Martinique à d’autres DOM « qui avancent dans le même cadre » est réducteur : la Guadeloupe connaît des blocages similaires, et la Guyane réclame elle aussi des compétences accrues. L’appel de Fort de France des présidents des collectivités de l’outre vient contredire Yan Monplaisir
Le Congrès ne nie pas la nécessité d’une meilleure gestion locale ; il reconnaît simplement que la gestion actuelle est bridée par un cadre trop rigide.
Enfin, affirmer que le Congrès prépare subrepticement une sortie du cadre républicain est inexact : l’article 73 et l’article 74 de la Constitution sont des voies républicaines et légales, validées par le Parlement français. Pourquoi en filigrane reprendre la vieille antienne du largage?
Le Congrès n’est pas une diversion, mais une opportunité d’ouvrir un débat franc, transparent et, à terme, validé par la population elle-même si elle le souhaite.
Conclusion : un rendez-vous démocratique à ne pas manquer
Refuser de participer au Congrès des élus, c’est refuser d’entendre et de porter les aspirations institutionnelles d’une partie importante de la population martiniquaise. C’est aussi priver le débat d’une voix politique qui, même critique, a toute sa place dans la confrontation démocratique.
Les urgences sociales et la réflexion institutionnelle ne s’excluent pas : elles se nourrissent mutuellement. Le Congrès n’est pas une « mise en scène politique », mais un exercice de responsabilité démocratique.
À l’heure où d’autres territoires ultramarins réclament eux aussi plus de capacités d’action, la Martinique ne peut se contenter de gérer la pénurie et de subir. Elle doit affirmer sa volonté d’adapter son cadre institutionnel pour mieux répondre aux besoins concrets des citoyens.
Gérard Dorwling-Carter