Ce sont 260 nouveaux cas qui sont recensés chaque année en Martinique. C’est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes martiniquaises avec près de 60 décès par an. Pourtant selon les chiffres de l’ARS, les femmes peinent encore à se faire dépister. Le cancer du sein, Nathalie Chillan, présidente de l’association Ma Tété en a fait son cheval de bataille. Lors d’Octobre rose mais également toute l’année, la Martiniquaise se mobilise pour la prévention.
Pourquoi avez-vous créé l’association Ma Tété ?
Pour comprendre la création de l’association, il faut remonter à l’année 2013 où j’ai un diagnostic du cancer du sein. J’ai choisi de rester en Martinique me faire soigner. C’est un cancer génétique qui me fera avoir un parcours de soins avec une double mastectomie. Il y a un risque que le cancer revienne dans l’autre sein. J’ai reconstruit les deux seins en Martinique. Il y avait un fort risque qu’il y ait un cancer des ovaires donc j’ai fait le choix de retirer mes ovaires. De ce parcours de soins entre la MFME et l’hôpital Clarac, j’ai rencontré beaucoup de femmes, « des copines de chimio ». Mon parcours de soins entre la radiothérapie et la chimiothérapie, a duré entre décembre 2013 et juin 2014. Durant, ce temps nous échangions beaucoup mais je trouvais qu’il manquait d’informations, d’événements qui parlent du cancer du sein autrement. Je suis communicante/journaliste à la base. Alors, tout de suite, j’ai rédigé un blog pour sensibiliser les femmes. Ce blog, je l’ai appelé Ma Tété.
D’où vient ce nom, Ma Tété ?
Je voulais mettre le mot tété en créole afin qu’on s’identifie au sein. Le matété est aussi un plat à base de crabe. Mon père est guadeloupéen. Il y a aussi une référence au crabe en tant que cancer. C’est aussi la bouillie que l’on donne aux enfants. Quand on n’a plus de sein, peut-être que l’on ne peut plus donner à téter mais on peut donner du matété. C’est tout un jeu de mots.
Une fois le blog publié sur les réseaux, que s’est-il passé ?
Après le blog, j’ai commencé à avoir des événements. J’ai fait un documentaire dans la thématique de se réapproprier son corps. Plein d’amis sont venus au fur et à mesure car ils ont vu que j’étais très investie dans ce projet. On m’a alors suggéré de créer une association, ce qui se fera en 2018.
Pourquoi avoir choisi de rester en Martinique pour vous faire soigner ?
Je voulais à tout prix continuer à travailler. Je ne voulais pas que la maladie m’impose de rester chez moi. Je suis fondamentalement convaincue que l’entourage est très important. J’avais besoin d’être avec les membres de ma famille et mon compagnon. J’ai confiance dans le plateau en Martinique.
Quelles seront les thématiques de cette année 2025 pour animer Octobre rose ?
Nous allons mettre l’accent sur l’activité physique adaptée parce que cela diminue le risque de récidive. Mais également sur le dépistage organisé entre 50 et 74 ans et pousser les femmes à pratiquer l’autopalpation. Dans 9 cas sur 10, on guérit du cancer du sein mais pour cela, il faut être dépisté tôt. Beaucoup de femmes ont des a priori sur la douleur de la mammographie. Chaque femme est différente. On essaie de dédramatiser ce moment et d’inciter les femmes à y aller. L’autopalpation peut être un geste qui sauve. C’est en faisant une autopalpation que j’ai senti que j’avais une boule. La femme doit pouvoir écouter son corps et se faire confiance.
Quelle est la place de l’activité physique dans le parcours d’une femme qui a eu un cancer du sein ?
Notre credo, c’est de dire qu’il y a une vie avant, pendant et après le cancer. Avant, on est dans la phase d’information et de prévention. Pendant, on va être dans l’accompagnement. Après, on est dans un accompagnement pour que la récidive ne survienne et pour reprendre possession de ses moyens même si on ne reprend pas à 100%.
Selon les chiffres de l’ARS, en Martinique, les femmes sont moins touchées par le dépistage que dans l’Hexagone. Pourquoi selon vous ?
Il faut absolument qu’on incite les femmes à participer davantage au dépistage. Mais elles ont peur d’y aller, elles ont peur d’avoir mal. Ça circule beaucoup dans les milieux féminins. En tant qu’association, c’est une peur qu’on entend. On sent bien qu’il y a une cristallisation sur cet examen mais cela vaut le coup d’y aller. C’est une fois tous les deux ans. Ce n’est pas comme une chimio. Il vaut mieux être dans la prévention. On est dans un système français. L’examen est gratuit. Il ne faut pas fouler aux pieds les avantages que l’on a, qui sont là aussi pour notre santé. Il faut que cela fasse partie de la routine des femmes.

Les conséquences du traitement du cancer du sein peuvent effrayer.
Oui, c’est très difficile. J’ai retiré les deux seins que j’ai reconstruits mais ce n’est pas forcément à l’identique et puis on vous a quand même retiré une partie de vous-même. C’est quelque chose sur lequel il faut faire un travail, sur lequel on peut être accompagnée par les associations ou des professionnels. Mais s’il faut passer par là pour enrayer la maladie, il faut y aller. Cela reste un choix personnel. Ce n’est pas parce que vous avez un diagnostic de cancer du sein que l’on va forcément vous enlever le sein. Quand on a peur d’avoir une ablation du sein, il faut d’autant plus participer au dépistage organisé.
Comment une patiente peut-elle se retrouver en manque d’information ?
Le médecin est là pour guérir. Il va dire avec ses mots la maladie. Dans l’association Ma Tété, nous allons faire valider par l’ARS, notre programme Éducation thérapeutique du patient. Il accompagne le patient à partir du diagnostic jusqu’à sa rémission, voire après. L’objectif est de permettre au patient de bien comprendre ce qu’il va vivre, notamment les effets de la chimiothérapie et de la radiothérapie sur le corps. Quand le médecin explique, il le fait peut-être avec des mots pas forcément intelligibles au moment où on les entend. On vient de vous dire que vous avez un cancer du sein et vous êtes encore dans le brouillard. J’avais envie d’apporter des infos autrement, par exemple des pièces de théâtre avec des comédiennes qui ont vécu un cancer du sein. Il s’agit de sortir du contexte mort et ablation et de parler simplement de problématique de femmes.
Comment expliquer cet écart entre l’enthousiasme autour d’Octobre rose et le manque d’intérêt pour le dépistage ?
On aime la fête. Tout le monde veut participer à Octobre rose. Nous intervenons dans des entreprises, dans les collectivités. Ce sont des bénévoles qui témoignent de leur vécu. Pour beaucoup, l’idée est de contribuer à la cause et c’est une bonne chose. Nous intervenons beaucoup aussi dans les milieux scolaires. Il faut éduquer les jeunes femmes. Il n’y a pas que les règles dans la vie ni le risque de tomber enceinte. Nous associons à ce discours qu’il faut prendre soin de ses seins et qu’elles peuvent être concernées par le cancer du sein. J’en parle aussi aux jeunes hommes afin qu’ils soient en capacité d’accompagner les femmes de leur vie quand elles seront malades que ce soit, sa sœur, sa mère ou sa compagne. L’idée est de sensibiliser à la maladie les jeunes femmes comme les hommes. Il ne faut pas sous-estimer la communication chez les jeunes.
Comment se réapproprier son corps après la maladie ?
L’idée, c’est de dire que je prends le contrôle de mon corps, j’en fais ce que je veux et j’en fais quelque chose qui me plaît. C’est d’abord penser à moi avant de penser à l’autre. Souvent, les femmes, une de leurs premières préoccupations, c’est « qu’est-ce que mon mari va dire » ? Je leur dis : « Si vous n’acceptez pas votre corps, votre mari ne peut pas l’accepter. » Il faut s’aimer et s’accepter. Moi, à partir du moment où j’étais bien avec mon corps, cela ne me dérangeait pas de faire l’amour, que mon compagnon voie mes seins. Il n’y a pas de honte à avoir eu un cancer. Il n’y a pas de honte à sauver sa vie en retirant ses seins. Si on ne fait pas la reconstruction, cela n’a pas fait de moi une femme moins belle, moins intelligente, moins sexy. Il faut déplacer les curseurs.
Propos recueillis par Laurianne Nomel
 
		

 
									 
					
