Fabuleux. Toujours fascinant de voir Chyco Jehelman, mais cette fois, accompagné de deux musiciens de taille : Luther François et Bernard Lubat. Une rencontre rare, un moment suspendu.
On connaît Chyco, et chaque apparition nous éblouit davantage
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Son itinéraire est remarquable, sa progression constante. Je l’ai découvert encore jeune au sein du mythique orchestre Ryco Jazz, et depuis, son art n’a cessé de se déployer.
Chyco, c’est un espace illimité d’expression : le jeu, la joie, la liberté. Une vélocité admirable, une occupation totale du clavier, mêlant percussions, envolées mélodiques, harmonies denses et accords puissants. Écouter Chyco, c’est voyager : un monde vaste, riche, étranger à la répétition, affranchi des normes.
Ambassadeur d’un nouveau monde ? Peut-être. On l’a parfois entendu seul au piano : un discours ininterrompu, une transe musicale capable de durer une à deux heures, toujours renouvelée, toujours surprenante.
Ce vendredi 5 décembre, à la salle Frantz Fanon du Tropiques Atrium, le public a assisté à une rencontre unique.
En ouverture, Bernard Lubat, polyinstrumentiste aux mille vies — batterie, piano, accordéon, vibraphone, percussions, synthétiseur, chant — figure majeure du jazz et des musiques contemporaines, compagnon de Martial Solal, Stan Getz, Dexter Gordon ou Eddy Louiss. Dès les premières secondes, la conversation entre Chyco et Lubat s’est imposée comme une évidence : un dialogue vif, percussif, immensément riche. Lubat connaît le jeu de Chyco, s’y colle, le prolonge, l’épaissit. Il apporte sa malice, son adresse, son immense savoir. Un enchantement.
Puis arrive Luther François. Toujours égal à lui-même : posé, habité, pétri d’expérience. Il écoute, s’imprègne, attend le moment juste. Puis il entre, avec douceur, souplesse et profondeur. Une présence magnétique. Chaque phrase respire la maturité, la sagesse, une connaissance intime du souffle et du silence.
Un moment formidable. Un trio rare, dont la conversation musicale mériterait de durer des heures.
Après 1h15 de délices, une frustration : le concert aurait gagné à être plus long. Le public, debout, applaudit longuement, espérant un retour sur scène qui ne viendra pas.
On a aimé Bill Evans, Keith Jarrett, Chick Corea et tant d’autres. Mais Chyco Jehelman porte en lui tous ces héritages, et plus encore : il dialogue avec l’universel — et peut-être au-delà.
Christian Boutant



