À Genève, en août 2025, la communauté internationale devait franchir une étape décisive : conclure un traité juridiquement contraignant pour lutter contre la pollution plastique. Après trois années de discussions, l’espoir d’un accord ambitieux s’est toutefois heurté à l’obstruction d’un bloc de pays producteurs de pétrole et de gaz, déterminés à préserver leurs intérêts économiques.
Trois ans de négociations avortées
Le processus avait été lancé en mars 2022 par une résolution historique de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (ANUE). L’objectif : doter le monde d’un instrument juridiquement contraignant couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques, de la production à l’élimination.
Depuis, cinq sessions s’étaient succédé — Punta del Este (Uruguay, 2022), Paris (2023), Nairobi (2023), Ottawa (Canada, 2024), puis Busan (Corée du Sud, fin 2024). La réunion de Genève devait être la dernière, consacrant la conclusion du traité. Elle s’est terminée sur un constat d’échec, les délégations se quittant sans consensus.
Deux visions irréconciliables
Deux blocs s’affrontaient. D’un côté, la « coalition de haute ambition » (Union européenne, Canada, Australie, plusieurs pays d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique) plaidait pour un texte contraignant qui limite la production de plastique, interdise certains produits dangereux et encadre les plastiques à usage unique.
En face, les pays producteurs de pétrole et de gaz — Arabie saoudite, Russie, Iran, Irak, Koweït, rejoints par les États-Unis et, plus discrètement, la Chine — refusaient tout engagement sur une réduction de la production. Ils limitaient leur approche à la gestion des déchets et au recyclage, alors même que moins de 9 % du plastique mondial est effectivement recyclé.
Une stratégie de blocage assumée
Le sabotage s’est manifesté par une multiplication des « lignes rouges ». Les délégations pétrolières ont rejeté toute mention de réduction de la production et d’interdiction de substances chimiques utilisées dans la fabrication de plastiques. Selon plusieurs observateurs, les représentants de l’industrie pétrochimique étaient plus nombreux que ceux des ONG environnementales dans les salles de négociation.
« Les pays du Golfe, alliés à la Russie et soutenus par les États-Unis, ont méthodiquement détricoté les options de compromis », confie un diplomate européen. Derrière cette position, se profile une stratégie : compenser la baisse attendue de la demande mondiale d’hydrocarbures par une expansion de la pétrochimie, dont le plastique est le débouché principal.
Colère et désillusion des partisans d’un accord fort
À l’issue de la session, la frustration était palpable. La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a dénoncé « une poignée de pays, guidés par des intérêts financiers de court terme et non par la santé de leur population et la durabilité de leur économie ».
Les pays de la coalition « haute ambition » craignent que le processus ne s’enlise durablement. « C’est un recul diplomatique majeur, alors que la pollution plastique menace la biodiversité, les océans et la santé humaine », regrette un négociateur africain. Les ONG environnementales, qui réclamaient un texte à la hauteur de l’urgence, parlent d’un « rendez-vous manqué historique ».
Et maintenant ?
La conférence s’est conclue sans calendrier précis pour de futures discussions. Certains diplomates évoquent l’hypothèse d’organiser une session extraordinaire, tandis que d’autres plaident pour repenser le mode de gouvernance du processus, afin de contourner le droit de veto implicite exercé par les pays producteurs.
Pour l’heure, l’échec de Genève illustre une réalité brutale : face à l’urgence écologique, les intérêts industriels liés au pétrole continuent de peser plus lourd que l’avenir des écosystèmes et la santé publique mondiale.
Jean-Paul BLOIS.